Martyrologe royal
5/5 Présent .
.----. Pourquoi avoir choisi de publier l’ouvrage d’Antoine Jean Cassé Saint-Prosper (1790-
1841), journaliste, écrivain, polémiste, publié en 1821 à la Librairie monarchique de
N. Pichard (quai de Conti, n° 5, près le Pont-Neuf) ? Pour une raison bien simple :
parce que ce petit livre rapide, incisif, tout empreint de piété filiale, est devenu
introuvable.
Ensuite parce qu’il écrit, dans la dernière note de son édifiante Vie de Louis XVI (soustitrée : « Martyrologe royal ») : « La révolution a causé à la France une perte de plus de
dix millions d’hommes ; une démoralisation complète ; quatorze années du plus
effroyable despotisme, et deux invasions. Au reste, il est incontestable que, si on
continue toujours d’avoir la même bonté envers la révolution, elle finira par faire
disparaître de l’Europe jusqu’au nom même de Français. »
Est-il possible, en aussi peu de lignes, de résumer aussi justement l’héritage de la
Révolution de 1789 avec, in fine, cet avertissement prémonitoire qui annonce que cet
« événement » – à moins de le dénoncer comme ce qu’il fut : une abomination – finirait
par faire disparaître jusqu’au nom même de Français. Nous y sommes. Non seulement la
bonté – c’est-à-dire l’approbation de cette période terroriste et son corollaire, l’assassinat
du roi Louis XVI – n’a cessé de croître et embellir, mais elle est devenue une sorte de
dogme enseigné dans les écoles…
Polémiste de talent, A.J.C. Saint-Prosper ne polémique pas dans ces quelques pages où il
ne fait que raconter un processus tragique. Inutile, en l’occurrence, d’en remettre. Les
faits parlent d’eux-mêmes. Saint-Prosper indique qu’il n’a pas voulu se lancer dans un
gros volume sur le sujet (et le roi n’est pas un sujet !), mais qu’il a voulu composer un
« livre populaire ». Comprenez : un livre pour le peuple. Pas pour les savants, pas pour
les malins, pas pour les érudits. Pour le peuple qui fut la première victime de cet acte de
barbarie qui mit la France en état de péché. Elle y est toujours.
Sa relation de la révolution, du procès du roi, de sa mise à mort, ne s’encombre pas
d’effets littéraires. Il s’en explique : « J’ai tâché (…) de mettre dans mon style cette vive
précision qui fait qu’en peu de mots on dit et on peint beaucoup. »
Un livre pour le peuple. Un livre court. Mais aussi l’accomplissement d’un devoir de
mémoire. Pour répondre aux innombrables ouvrages qui, à l‘époque déjà et alors que la
France avait retrouvé son régime naturel, la monarchie, épuisaient « toutes les ressources
de la calomnie pour souiller jusqu‘à la mémoire d’un roi-martyr ».
Il ne suffisait pas, en effet, d’avoir guillotiné Louis XVI et Marie-Antoinette, il fallait de
surcroît les salir. Et Saint-Prosper sent bien que si cette monarchie d’Ancien Régime n’a
pas su se défendre – alors qu’elle en avait les moyens –, la monarchie restaurée n’a pas
compris la leçon. Il y a dans ses rangs, comme il y en eut avant 1789, des gens qui ont de
la bonté pour ladite révolution.
Il le sait. Et il le dit : « Tout le monde sait qu’il existe un comité pamphlétaire libéral [et
l’on rappellera qu’aux Etats-Unis, le mot “libéral” désigne la gauche, voire l’extrême gauche], auquel
on n’a qu‘à présenter un livre contre Dieu ou la monarchie pour qu’il l’accepte et le fasse
imprimer aussitôt à ses frais. Si le livre réussit, on ne déduit à l’auteur que les frais
d’impression, et on lui remet le surplus du prix de la vente. »
Actualité de Saint-Prosper. Qui a oublié les sommes fastueuses qui furent débloquées en
1989 pour célébrer le bicentenaire de la Révolution ? Et qui ne se rend compte, alors
que l’on étouffe les auteurs hostiles à la « pensée unique », que ceux qui minent la
société, attaquent la famille, sapent les fondements même de notre civilisation, ont droit
à tous les honneurs, à l’accès aux médias, aux prix et aux récompenses ? Dans le combat
à outrance que livrent « les doctrines de destruction » contre « les forces de
conservation », comme dit Saint-Prosper, la partie est difficile : à se prononcer pour « les
forces de conservation », on ne gagne « ni popularité des journaux, ni places, ni titres, ni
mandats sur les caisses des banquiers », en effet…
Ces lignes datent de 1821. C’est-à-dire d’un temps où « les forces de conservation »
étaient censées être au pouvoir… Alors, aujourd’hui que ce sont « les forces de
destruction » qui mènent le bal jusque dans les allées du pouvoir…
« Dans les crises révolutionnaires, écrit encore Saint-Prosper, il faut surtout broyer sans
pitié les premières résistances, et concéder au salut de la royauté quiconque a force et
obligation de mourir pour elle, puisque nulle perte au monde n’équivaut à la royauté
vaincue. » S’il fut lu en 1821, l’auteur de la Vie de Louis XVI fut mal lu… Moins de dix
ans après (1830), on sait ce qu’il advint…
La publication, aujourd’hui, de ce petit livre, élégamment relié, ne relève pas seulement
du désir de remettre au jour un ouvrage qui méritait de l‘être. C’est un livre pour notre
temps. Ce qu’on y décrit, et les avertissements que l’on y trouve, sont destinés tout
autant aux Français d’aujourd’hui dont le nom même – comme Saint-Prosper le
craignait – est en train de disparaître.
L’Histoire ne repasse pas les plats ? Sans doute. Il n’empêche qu’elle balbutie souvent.
Et qu’il n’y a de pires sourds que ceux qui ne veulent pas entendre
[ Signé : Alain Sanders dans " Présent ", n° 7258 du jeudi 6 janvier 2011 ]
Par un polémiste monarchiste !
4/5 L'homme nouveau .
.----. C'est en 1821 que parut cette Vie de Louis XVI, écrite par un polémiste monarchiste,
Antoine Saint-Prosper. Elle retrace les dernières années du Roi, partant d'un peu avant le
début des troubles. Autant le dire d'emblée, ce n'est pas vraiment un livre d'historien. Écrit
à chaud, il y a une bonne part d'erreurs dans ses analyses des causes de la Révolution : il
charge uniquement les ministres et le Tiers-État, mais dédouane totalement la noblesse de
sa responsabilité. Il a également tendance à la voir comme une entreprise programmée dès
le début pour installer la République.
Ce n'est pas pour autant un panégyriste : plus lucide
sur les faiblesses de Louis XVI, il critique son amour désordonné et mal dirigé du peuple,
et conclut que s'il fut un grand homme, il fut un mauvais Roi. En revanche, certaines de
ses fulgurances conjecturales ont des airs de prophéties tant elles semblent se réaliser
actuellement. Livre destiné au peuple, c'est pourtant sa plume qui émerveille le plus son
récit est haletant, son style vigoureux, incisif, et d'une ironie mordante, mais sans
amertume. On y sent le polémiste, bien que le livre ne le soit nullement.
La graphie
d'époque, conservée par Alain Sanders, qui présente cette biographie, achève de nous
plonger dans cette époque maintenant lointaine. [ Signé : Philippe Kersantin dans " L’Homme Nouveau ", n° 1494 du 21 mai 2011 ]