Une description colorée
5/5 Présent .
.----. Péroncel-Hugoz, qui a toujours un regard intelligent sur le Maroc (et pas seulement en le
regardant par le petit bout de la lorgnette), a déjà eu l’occasion de nous dire l’intérêt de
l’ouvrage de Bernard Hoerni, Une éducation en terres berbères 1940-1958, sous-titré « L’olive,
le doum et l’orange. » Mais je voudrais y revenir car, beaucoup d’entre vous le savent, le
Maroc n’est pas pour moi un pays « étranger ». D’autant que, même si Bernard Hoerni
est plus âgé que moi, le Maroc des années qu’il évoque, je l’ai bien connu.
Né au Maroc, Bernard Hoerni est professeur de cancérologie à l’université Victor Segalen-Bordeaux 2, et il a présidé le Conseil national de l’Ordre des médecins. Son
préfacier, Marc Fumaroli, de l’Académie française, souligne bien sa personnalité et son
écriture : « Récit d’éducation, ce livre est aussi une description colorée de la vie
quotidienne de Français délocalisés de leur propre vouloir, dans une ferme créée dans
un pays exotique (…). Bernard Hoerni n’idéalise jamais. Ce protestant a le sens
hollandais du tableau de genre et des réalités silencieuses. »
Tableau de genre, en effet. Avec Meknès et ses environs, Sebaa Aïoun, le Zehroun au
loin (d’où l’expression « Le Zehroun et l’infini »…), la vie de tous les jours, les voisins,
les vacances dans le bled, etc. Et regard(s) d’un protestant. C’est-à-dire un peu
différent(s) de celui que nous autres, catholiques, de la région de Rabat-Salé, fidèles de la
paroisse Saint-Anne de Salé, avons pu avoir sur ce Maroc, ce vieux Maroc où nos
grands-parents s’étaient installés dans les années trente.
Dans le titre de ce livre, le mot terres est aussi important que le mot berbères. Parce que les
Hoerni vivaient à la campagne et qu’ils partageaient leur vie avec les voisins. Au point
qu’il a un instant pensé intituler ses souvenirs La Ferme berbère. Car les vrais « indigènes »
du Maroc, les autochtones, ce sont les Berbères, les Arabes n’y étant – comme en
Algérie – que des envahisseurs qui se sont plus qu’incrustés.
Je ne dirai rien de l’olive et de l’orange évoquées en sous-titre. Un mot du doum, en
revanche. C’est un palmier nain qui pousse à l’état sauvage. Avec ses feuilles, qui
présentent des fibres, on faisait naguère du crin.
Nous, nous allions le dimanche dans la forêt de la Mamora ou dans celle des Zaërs. Eux,
les Meknassi, ils allaient dans le Zehroun, pour redescendre par Moulay Idriss et les
ruines romaines de Volubilis.
Jours tranquilles. On aurait dit le Sud, le temps du
longtemps qui aurait pu durer plus d’un million d’années (et toujours en été). Mais
l’avenir n’est écrit nulle part. Les Hoerni comme les Potier, les Ghnassia, les Bonavia, les
Van Hout, les Ducroux, les Missichini, ont dû parti un jour. Ainsi va la vie. N’empêche :
le Maroc ne sera jamais pour nous un pays « étranger ». [ Signé : Alain Sanders dans " Présent ", n° 7638 du samedi 7 juillet 2012 ]
Avec tendresse !
4/5 L’écrivain combattant .
.----. Ce livre de souvenirs d'enfance et de jeunesse rassemblés avec tendresse par Bernard
Hoerni s'inscrit dans une langue et une prestigieuse tradition de littérature mémorielle. Il
pense à nouveau que le passé des êtres et des choses disparues demeure présente et
vivant par ce miracle permanent qu'est l'écriture. A une époque dominée par l'éphémère
et l'instantanéité des communications qui ne laissent plus de traces, il est réconfortant de
lire un récit à la fois simple et concret, aux détails instructifs et savoureux, retraçant la
vie quotidienne des colons en zone berbère du Maroc. De ce travail exemplaire deux
leçons ressortent. D'abord que, contrairement aux clichés idéologiques sur le protectorat
français, c'est la réalité du développement éducatif, culturel et économique promu par la
République qui a été le vecteur décisif de l'accession légitime du Maroc à l'indépendance.
Ensuite que les relations entre Européens et autochtones, loin d’être celles d’exploiteurs
sur des dominés, ont été empreintes de respect mutuel et souvent de témoignages de
solidarité fraternelle. Rien d’ailleurs ne pouvait mieux signifier l’attachement à la terre
berbère que la dispersion des cendres des parents de l’auteur sur les pentes de l’AntiAtlas. [ Signé : Bernard Dumortier dans " L’écrivain combattant ", n° 126, février 2013 ]