Le salut social par la laïcité positive
5/5 Monde et vie.
.----. Jean-François Chemain est ce financier, qui, un jour a souhaité enseigner pour transmettre. Aujourd’hui il est professeur d’histoire dans une ZEP près de Lyon. Après La vocation chrétienne de la France (2010) et Kiffe la France (2011), cette Autre histoire de la laïcité est l’aboutissement d’un long travail sur les relations entre religions et politique en France aujourd’hui.
La laïcité n’est pas républicaine, elle est chrétienne. La très vaste enquête sur ce sujet menée par Jean-François Chemain conduit à cette conclusion paradoxale. La longue histoire des rapports entre l’Église et l’État – pouvoir temporel et autorité spirituelle distincte – aurait dû nous conduire – selon la légende noire anticléricale –, à constater une longue série d’abus du Parti prêtre, s’immisçant indûment dans les affaires de l’État et cherchant à influencer le pouvoir civil à son profit par tous les moyens. En réalité c’est l’inverse que l’on est obligé de constater : l’immixtion de l’État dans l’Église, que ce soit (au début) pour la faire disparaître, ensuite pour l’instrumentaliser, puis (Révolution française oblige) à nouveau pour lui mener une guerre à mort. On peut dire que le quiproquo vient des Lumières. Aujourd’hui des savants réputés comme Jean Baubérot font remonter la laïcité au XVIIIe siècle. En réalité, la constitution civile que la Révolution destine au clergé montre bien qu’il s’agit pour les révolutionnaires (conformément à l’intuition de Jean-Jacques Rousseau), de revenir sur 1700 ans de christianisme et d’asservir l’Église à l’État au point d’en faire un service social parmi d’autres. On est loin des utopies du siècle suivant, défendues d’ailleurs par des catholiques, qui prônent « l’Église libre dans l’État libre ». La laïcité républicaine hérite du siècle des Lumières une hostilité viscérale envers le catholicisme. Il est absolument impossible de faire passer cette hostilité politique pour une forme de laïcité sans jouer sur les mots.
Plusieurs des perspectives de ce livre débordent le point de vue strictement historique, en particulier les propositions que fait Jean-François Chemain pour l’avenir de l’islam, dont on peut se demander si elles sont bien réalistes : « L’aide qu’attendent les musulmans de l’Occident est multiforme. Le cœur en est la possibilité de vivre leur foi dans le contexte privé et pacifié qui prévaut en Occident, ce qui implique qu’il soit rendu possible un travail d’exégèse, d’interprétation et de contextualisation voire d’expurgation du Coran de ses versets les plus choquants. Il ne revient certes pas à l’État de le faire lui-même mais il doit créer les conditions pour cela. Rassembler un groupe d’experts musulmans, le cas échéant conseillés par des exégètes chrétiens et leur donner une obligation de résultat. Impossible ? C’est exactement ce que j’ai entendu feu Mohamed Arkoun proposer lors d’une conférence à l’Institut Catholique de Lyon. »
Un État qui réglemente le spirituel, même pour le « bon motif » de la laïcité apaisée, est un État totalitaire. Et s’il n’est pas totalitaire, c’est un État qui pour « expurger l’islam » devra lui faire quantité de concessions (Chemain cite la construction de mosquées sur fonds publics) qui tourneraient à l’avantage… de l’islam. [ Joël Prieur dans : Monde et vie, n° 883, 12 novembre 2013 ]
Tentatives des États de régenter l’Église
5/5 Renaissance catholique.
.----. Jean-François Chemain, un homme à qui les paradoxes ne font pas peur, nous livre ici Une autre histoire de la laïcité effectivement bien à contre-courant de la Vulgate officielle. Il y défend la thèse que la laïcité, c’est-à-dire la distinction du spirituel et du temporel, est une idée foncièrement chrétienne – ce qui est peu original –mais que contrairement à l’opinion commune, la difficulté dans l’Histoire a résidé non pas dans la soumission de l’État à l’Église mais dans les tentatives des États de régenter l’Église et ce depuis le IVe siècle et l’édit dit de Constantin en 313.
L’auteur cite de nombreux faits à l’appui de son argumentation : Constantin intervenant au concile de Nicée en 325, Charlemagne nommant les évêques, la montée en puissance du gallicanisme à partir du XlVe siècle, la tentative de création d’une Église nationale en France au moment de la Révolution française avec la constitution civile du clergé et l’interdiction des vœux religieux… À partir du XIXe siècle, l’État ne cherche plus tant à dominer l’Église qu’à la supprimer, ce dont témoignent les lois de séparation de 1905 et aujourd’hui les propos sans ambiguïté de Vincent Peillon. [...] [ Jean-Pierre Maugendre dans : Renaissance catholique, n° 130, janvier-février 2014 ]