Militaire de carrière puis diplomate, homme habitué aux bonnes manières et au respect d'autrui, l'auteur de ce livre fait très brutalement connaissance, quelque part dans l'Autriche de 1945, avec les "libérateurs" américains. Drogués à la germanophobie la plus primaire, ignorant tout des réalités européennes, ces derniers ne cessent d'étaler leur suffisance, leur grossièreté, leur bêtise insondable, leur propension pour le chaos.
Séparé de sa femme et de son fils, l'auteur entame alors un long et douloureux périple qui le conduira d'un camp américain à l'autre dans une Allemagne ravagée, sans jamais recevoir le début d'une explication à sa détention. Il décrit ici, dans un français d'une rare élégance voilé d'une ironie parfois féroce, les faits et gestes d'Ubu justicier et rééducateur pour le compte de l'oncle Sam. Ion Gheorghe livre ainsi un témoignage de premier ordre sur l'univers carcéral mis au point par les champions de la "démocratie", aux bonnes paroles desquels il avait eu la naïveté d'ajouter foi. Réquisitoire contre une bureaucratie tatillonne devenue usine à brimades, ce livre exalte aussi la solidarité, la générosité et la noblesse qui parviennent à se manifester dans les pires conditions. Un témoignage oublié ou carrément ignoré qui mérite amplement d'être (re)découvert.
Ion Gheorghe, général d'active dans l'armée roumaine, fut envoyé par son pays, alors dirigé par le maréchal Antonesco, en mission diplomatique à Berlin. Il y resta, en qualité de ministre de Roumanie en Allemagne, du 1er avril 1943 jusqu'à la fin de la guerre. Ecrit directement en français, son témoignage sur ses deux ans de captivité (1945-1947) dans des camps américains parut pour la première fois en 1954.