Une extraordinaire personnalité
5/5 L'Action Française 2000 n° 2935 7-20 juillet 2016
L'on parle souvent de Maurras, mais c'est, la plupart du temps, pour mettre en scène un faux Maurras, qui tient davantage de l'homme de paille que de la vérité.
Ainsi, Roger Joseph écrivit une plaquette cataloguant les faux Maurras. Parmi eux, il semble en avoir oublié un, que même les maurrassiens tendent à entretenir : un Maurras austère, dénué de tout humour. C'est là grande fausseté: Maurras fut un joyeux compagnon, bien que sourd.
Médecins superstitieux
La lecture de Tragi-comédie de ma surdité, que L'Herne vient de rééditer, en est la démonstration parfaite. On y découvre un Maurras amusant, alors que le sujet ne l'est guère:
Ce texte, écrit en 1945 en prison, raconte le handicap de Maurras et les tentatives de le soigner. Plutôt que de s'en lamenter, Maurras décrit avec un discret parfum d'ironie des médecins partagés entre positivisme triomphant et superstition. Surtout, il raconte comment la perte de « l'ouïe, cette moitié du sens des rapports sociaux », a pu être dépassée à travers la poésie - genre littéraire musical par excellence -, ses amitiés et les relations avec les femmes. Maurras se livre même, au chapitre VI, à un éloge des raseurs ; dans le dernier chapitre, il propose une petite parabole sur l'égalité, à cause de ses gardiens de prisons. L'on a connu des prisonniers moins plaisants.
Un tournant rapporté dans le livre est la rencontre avec Léon Daudet. D'abord parce que c'est la rencontre entre le verbe sonore et l'ouïe réduite. Mais surtout parce qu'il est celui qui l'a convaincu de s'exprimer devant des assemblées. Il n'est que d'écouter son discours d'entrée à l'Académie française pour juger la difficulté de l'affaire: Voix faible, débit hésitant et intensité plate. L'on peut penser que le style compense, mais bien écrire et bien parler sont deux choses différentes. Or, tenir discours, c'était accepter d'être une personnalité publique, c'était avoir une vie politique. Pour le meilleur et pour le pire, Daudet a permis à Maurras d'être plus que le théoricien du nationalisme ; il fut un acteur politique en dépit de sa surdité.
Un modèle à suivre !
Nous voilà bien loin du Maurras que voulait nous présenter Boris Cyrulnik dans sa préface de la Bonne Mort. Cette surdité à l'âge des premiers émois n'en fit pas un frustré pathologique réductible à un événement traumatique. Il fut, bien au contraire, un survivant de son handicap. La République, toujours friande de modèle pour les populations défavorisés, pourrait le proposer comme exemple aux jeunes sourds. Il est curieux que Boris Cyrulnik soit passé à côté de cela. Il est d'ailleurs agréable de constater que la préface de François L'Yvonnet est, pour le coup, honnête et agréable.
En conclusion, cet opuscule n'est clairement pas une grande oeuvre de Maurras. Si quelques thèmes de réflexion affluent, c'est de façon souterraine. Bien sûr, l'historien de l'Action française et de Maurras sera content de découvrir quelques anecdotes. Celle de sa dernière rencontre avec Tailhade est divertissante : elle nous montre un Maurras ultra-solide, prêt à charger les dreyfusards aux funérailles de Zola.
Toutefois, l'utilité de cet opuscule est de montrer que Maurras ne fut jamais une bête immonde, ni un fou, mais une extraordinaire personnalité humaine et sympathique.
<p align="right">Francis Venciton <a href= http://www.actionfrancaise.net/ target=_blank>www.actionfrancaise.net</a>