Peut-être son meilleur livre !
5/5 Les livres d'Antoine .
.----. Sylvain Tesson boit trop. Et quand il a vraiment exagéré il se promène nuitamment sur les toits. Une chute de huit mètres en aurait tué plus d’un mais le lac Baïkal et la Bérézina ont endurci l’homme qui, très abîmé tout de même, a passé de longs moments à l’hôpital.
On lui suggère un centre de rééducation. Il préfère « demander aux chemins ce que les tapis roulants étaient censés me rendre : des forces. »
Le voilà parti, pour plusieurs mois, sur les chemins noirs, ainsi nommés grâce aux cartes de l’IGN, au 25000e tout de même. Des petits chemins ruraux, des appuis de lisières, des voies antiques délaissées seront ses chemins, en noir sur la carte, oubliés si possible : « Certains hommes espéraient entrer dans l’histoire. Nous étions quelques uns à préférer disparaître dans la géographie. »
***Les chemins noirs . Depuis le Mercantour jusqu’au Cotentin Sylvain Tesson marche (en essayant d’éviter routes et ronds-points) et observe. Sa plume, brillante, sait être acerbe : « Un des lointains premiers ministres de la Vè République (Jean-Marc Ayrault, période Anatole France) avait commandé un rapport sur l’aménagement des campagnes françaises. Une batterie d’experts, c’est-à-dire de spécialistes de l’invérifiable, y jugeait qu’une trentaine de départements français appartenait à l’hyper-ruralité. Pour eux la ruralité n’était pas une grâce, mais une malédiction. Le rapport se faisait rassurant : bientôt, grâce à l’Etat, la modernité ruissellerait sur les jachères. Le wifi ramènerait les bouseux à la norme. Au lieu d’écrire « Par les champs et par les grèves » le futur Flaubert se fendrait d’un « Par les ZUP et par les ZAC ». Les bénéficiaires de ces aménagements feraient de bons soldats, des hommes remplaçables, prémunis contre ce que le rapport appelait « les votes radicaux ». Car c’était l’arrière-pensée : assurer une conformité psychique de ce peuple impossible. »
On pourrait ainsi multiplier les extraits savoureux car Sylvain Tesson a le sens de la formule. Il a rejoint avec brio la sympathique cohorte des écrivains voyageurs et Sur les chemins noirs est peut-être son meilleur livre.
Il faut le respirer à pleins poumons. [ Publié le 16 septembre 2018 ]
Un vrai plaisir ( découverte de la France )
5/5 Réseau Regain
.----. Il se casse la figure, la tête et le
reste, un soir de beuverie, après
avoir escaladé un toit à Chamonix.
Se relève par miracle, est sauvé,
garde la gueule cassée, décide, plutôt
que se livrer à une rééducation
classique, de partir à la découverte
de la France, empruntant du sud
au nord des chemins écartés (les
traits noirs des cartes IGN), marqués
par l’hyper-ruralité. Ces fameux
chemins noirs, qui traversent le
Mercantour, le Verdon, abordant le
Comtat-Venaissin, l’Aubrac, les
monts du Cantal, le Limousin, la
Touraine, la Champagne mancelle,
la Mayenne, le Cotentin. Il est parfois
rejoint par des amis, écrivains
voyageurs (Cédric Gras, Arnaud
Humann) ou photographe complice
(Thomas Goisque), dort à la belle
étoile ou dans des gîtes, commande
une tasse de Viandox au comptoir,
note ses rencontres, jette ici et là
ses remarques sur la France immobile,
cite Bernanos : « il n’y a plus
beaucoup de liberté dans le monde,
mais il y a encore de l’espace ».
L’auteur marque ici joliment son
territoire. Il a l’élégance du trait,
reconstitue sa démarche avec légèreté,ne s’appesantit guère sur
ses bobos, même si son dos est
moulu, si ses douleurs au crâne se
précisent, s’il doit faire halte à l’hôpital
d’Aurillac. Cette traversée de
la France en deux mois et demi (de
fin août à début novembre) et moins
de 150 pages se moque des ampoules
au pied, du matériel à emporter,
comme des intempéries. On
ne met pas en doute la véracité de
ce voyage. Même si on lui trouve
un goût d’essai philosophique davantage
que l’incitation (poétique
ou pratique) à l’aventure. Reste
que, tel quel, il se lit avec un vrai
plaisir.
Réflexion sur la France d’aujourd’hui.
4/5 https://www.jesuisfrancais.blog/
.----. Peu importe qui il est. Désireux d’accomplir la promesse qu’il s’était faite sur son lit d’hôpital (« si je m’en sors, je traverse la France à pied »), un jour, il s’est mis en marche.
Pas façon Macron, façon chemineau, comme un personnage de Giono. A pied donc, de Tende à La Hague, une belle diagonale du Mercantour au Cotentin, du 24 août au 8 novembre 2015, en empruntant au maximum les chemins les plus improbables, les plus délaissés, les plus retirés de la vraie France profonde. En est résulté un petit livre qui, en contrepoint du récit de cette pérégrination, propose une véritable réflexion sur la France d’aujourd’hui.
Fuyant le « clignotement des villes » et méprisant les « sommations de l’époque » (en anglais, comme il se doit à l’ère de la globalisation : « Enjoy ! Take care ! Be safe ! Be connected ! »),, le voyageur met en pratique une stratégie de « l’évitement ». Eviter quoi ? Ce qu’il appelle « le dispositif ». D’abord visible à l’œil nu : c’est la France des agglomérations telle que l’ont voulue les « équarrisseurs du vieil espace français », ZAC et ZUP des années soixante ayant enfanté les interminables zones pavillonnaires et les hideuses zones commerciales. Laideur partout.
Ce réquisitoire implacable contre le saccage du territoire rejoint la dénonciation de la mondialisation, cette « foire mondiale » qui ruine un terroir « cultivé pendant deux mille ans ». Aux « temps immobiles » a succédé un « âge du flux » dont le « catéchisme » (« diversité », « échange », « communication ») est véhiculé par l’arrivée d’internet et la connexion généralisée. Temps immobiles : une nuit passée au monastère de Ganagobie (« Les hommes en noir […] tenaient bon dans le cours du fleuve. En bas, dans la vallée, les modernes trépidaient ») ; ou la vision du Mont-Saint-Michel (« C’était le mont des quatre éléments. A l’eau, à l’air et à la terre s’ajoutait le feu de ceux qui avaient la foi »).
Faisant sienne la vision de Braudel selon laquelle la France procède d’un « extravagant morcellement » humain et paysager, l’auteur dénonce ensuite le « droit d’inventaire » que s’arrogent « les gouvernants contemporains », notamment « les admirateurs de Robespierre » qui, favorables à « une extension radicale de la laïcité », veulent « la disparition des crèches de Noël dans les espaces publics » (et pourquoi pas des milliers de calvaires ?) pour les remplacer par … rien du tout, le néant, la mort.
Ce n’est certes pas un livre de propagande, ni un bréviaire idéologique mais bien l’œuvre d’un loup solitaire. Un livre qui peut sembler défaitiste, voire nihiliste (« je me fous de l’avenir »), au mieux nostalgique. Voir dans l’auteur un énième avatar du « bon sauvage » serait pourtant bien réducteur. On l’imagine mieux prêt à « chouanner » (selon le mot de Barbey qu’il rapporte lui-même). C’est sans doute là sa véritable portée : « Sur les Chemins noirs » de Sylvain Tesson est l’œuvre d’un antimoderne de bonne race qui nous aide à retrouver le chemin de chez nous. ¦
[ Signé : Louis-Joseph Delanglade. Publié le 19.12.2016 – Actualisé le 19.12.2022. ]
PS : JE SUIS FRANÇAIS, JSF Le quotidien royaliste sur la toile