Cette étude rédigée par une protestante, publiée en 1924 et enfin traduite en français, constitue une lecture remarquablement sourcée et référencée, faisant suite à son ouvrage intitulé La Révolution mondiale que nous conseillons également. Nesta Webster, essayiste et journaliste, nous aura livré une somme assez impressionnante dans laquelle sont par ailleurs cités un nombre important d’auteurs excellents qu’elle s’est donné la peine de consulter avec attention. Nous avons d’ailleurs été ravi de constater que beaucoup d’entre eux sont des catholiques français avec lesquels elle avoue, avec beaucoup de franchise, ne pas être entièrement d’accord au sujet de la franc-maçonnerie. En effet, si les réflexions de madame Webster sur des forces subversives aussi redoutables que le gnosticisme, l’illuminisme ou le socialisme sont d’une pertinence incontestable (nous avons particulièrement apprécié sa très bonne analyse du pangermanisme), on est un peu gêné par une idée fixe qui la travaille tout le long de son ouvrage, le rendant ainsi quelque peu confus, à savoir que la franc-maçonnerie anglaise serait une institution fort louable, voire exemplaire, injustement attaquée par les catho-liques qui pour le coup manqueraient de nuance dans leur raisonnement et se livreraient à de déplorables amalgames, mélangeant par exemple l’illuminisme révolutionnaire du Grand Orient de France avec le patriotisme apolitique des loges anglaises. Nous n’insisterons pas sur le caractère ô combien discutable de pareilles assertions ; nous nous contenterons juste de rappeler qu’au contraire, la franc-maçonnerie anglo-américaine a toujours été la branche la plus vicieuse, la plus puissante et la plus néfaste de la révolution mondiale. Qu’elle se soit dissi-mulée derrière une façade plus respectable que de coutume, cela est certain, mais se laisser tromper par d’aussi puériles apparences nous semble pour le moins assez curieux, surtout venant d’une femme aussi brillante et aussi bien renseignée que madame Webster. Il est vrai qu’elle utilise un argument intéressant, mais selon nous inconsistant, à savoir que l’abbé Barruel était l’ami du franc-maçon conservateur, et esprit fort pénétrant, Edmund Burke… De même ses considéra-tions sur la religion en général et sur le christianisme en particulier demeurent celles d’une protestante, aussi sont-elles difficilement acceptables pour un esprit catholique, mais passons. Cet ouvrage considérable n’en demeure pas moins aussi sérieux qu’exhaustif, avec notamment un chapitre centré sur les sociétés secrètes musulmanes qui existent depuis des siècles (Druzes et Ismaélites) et qui ont transmis aux funestes Templiers leurs rites initiatiques honteux et leurs croyances impies et sacrilèges. On soulignera également l’importance accordée à l’occultisme que pratiquent avec plus ou moins de ferveur toutes ces sectes anti-chrétiennes qui complotent contre la civilisation depuis des millénaires. Les auteurs catholiques cités dans cette synthèse somme toute remarquable sont : Gougenot des Mousseaux, André Baron (Louis Dasté), Claudio Jannet, Copin-Albancelli (envers lequel nous émettons toutefois quelques réserves), l’abbé Barruel évidemment, ou encore Le Couteulx de Canteleu, auteur d’un excellent livre sur le sujet. Les passages tirés des écrits des kabbalistes Éliphas Lévi (ex-abbé Constant), Paul Vulliaud, Adolphe Franck et de l’ésotériste Jacques Matter (son Histoire critique du Gnosticisme demeure selon nous une référence en la matière) sont également dignes d’intérêt, faisant ainsi de cette synthèse historique et intellectuelle un ouvrage que, malgré nos quelques observations critiques, nous recommandons vivement.(On regrettera, hélas, un travail d’édition plutôt déplorable avec beaucoup de phrases imprimées deux fois sur la même page…)I. C., dans Lectures Françaises n° 800 (décembre 2023)