Droit d’ingérence ?
5/5 Le Monde Diplomatique.
.----. Qu’est-ce qu’une guerre juste ?
Interventions militaires, violation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes : les infractions récurrentes au droit international s’appuient souvent sur la notion de guerre juste et invoquent la légitimité d’une action militaire, par opposition à sa légalité. Un exemple parmi bien d’autres : les bombardements effectués par les États-Unis, le Royaume-Uni et la France en Syrie le 14 avril 2018, qui violaient l’interdiction du recours à la force définie par la Charte des Nations unies.
Adversaire de toute forme d’impérialisme, le politiste Bruno Guigue fournit un contrepoint aux analyses dominantes de la guerre dans ce pays (1). Il cite M. Ammar Bagdache, secrétaire général du Parti communiste syrien : « En Syrie, à la différence de l’Irak et de la Libye, il y a toujours eu une forte alliance nationale. (…) La Syrie n’aurait pas pu résister en comptant seulement sur l’armée. Elle a pu résister parce qu’elle a su compter sur une base populaire. » Rappel d’un passé récent, l’ouvrage fourmille d’informations singulières sur la notion de droit des peuples, le terrorisme, les chrétiens d’Orient, Israël, les États-Unis, la gauche européenne légitimant l’extension de la sphère d’influence de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN)...
Ancien correspondant de l’hebdomadaire allemand Die Zeit, Michael Lüders souligne le rôle de l’Occident dans les violences qui ensanglantent le Proche-Orient. Le titre annonce la couleur : « Ceux qui récoltent la tempête » (2). L’avertissement qui ouvre l’ouvrage en confirme la philosophie : « Méfiez-vous de ceux qui se gargarisent avec les “valeurs” au lieu de désigner les intérêts. » Lüders rappelle que le premier coup d’État fomenté à l’étranger par la Central Intelligence Agency (CIA) eut lieu en Syrie, en 1949, comme l’a confirmé en 2016 M. Robert F. Kennedy junior, neveu du président John F. Kennedy (3). Lüders insiste sur les responsabilités américaines dans la crise actuelle : « Pendant que les seuls États-Unis livraient chaque année pour 1 milliard d’armes sur le champ de bataille syrien, les sanctions de Washington et de Bruxelles aggravaient les conditions de vie des Syriens, ce qui amplifiait le mouvement migratoire. Le revers de la médaille du soutien occidental aux terroristes islamistes est doublement durable : attentats terroristes et mouvement des migrant-s-réfugiés. » Un livre concis et précis.
Anti-impérialiste et chrétien fervent, le colonel François-Régis Legrier accepte pour sa part l’idée de guerre juste telle que l’ont pensée saint Augustin ou Thomas d’Aquin et appuie son propos sur Vladimir Soloviev, Albert Camus et Henri Hude (4). Son ouvrage a le mérite de récuser les « illégitimes théories du “droit d’ingérence” », les illusions de la « guerre contre le terrorisme » et l’« interventionnisme occidental sous influence américaine ». Il dénonce la guerre menée par la France et le Royaume-Uni sous la bannière de l’OTAN en Libye en 2011 et cherche une voie médiane entre pacifisme et bellicisme. En revanche, on peut s’inquiéter de certaines de ses propositions : fustigeant une « nouvelle religion, la République », il suggère de confier à l’armée le maintien de l’ordre intérieur (comme ce fut le cas pour la révolte de Spartacus en 73 avant notre ère ou le conflit nord-irlandais des années 1970). Il préconise aussi un retour à la « guerre limitée » : « Au-delà du politique, nos démocraties, et spécialement la France, doivent, sur le plan des valeurs, renoncer à l’hubris », écrit-il justement. Mais c’est pour mieux critiquer « la démesure et la négation de l’ordre divin qui caractérisent nos sociétés ». Dans son poème La Rose et le Réséda (1943), Louis Aragon proposait jadis une vision plus large de la défense de la patrie : « Celui qui croyait au ciel / Celui qui n’y croyait pas / Tous deux adoraient la belle / Prisonnière des soldats ».
Gabriel Galice
Président de l’Institut international de recherches pour la paix (Gipri), Genève. Auteur, avec Christophe Miqueu, de Penser la République, la guerre et la paix, sur les traces de Jean-Jacques Rousseau, Slatkine, Genève, 2012. [ Le Monde Diplomatique, août 2018 ]
(1) Bruno Guigue, Chroniques de l’impérialisme, Éditions Delga, Paris, 2017, 280 pages.
(2) Michael Lüders, Die den Sturm ernten. Wie der Westen Syrien ins Chaos stürzte, C. H. Beck, Munich, 2017, 176 pages.
(3) Robert F. Kennedy junior, « Why the Arabs don’t want us in Syria », 23 février 2016, www.politico.eu
(4) François-Régis Legrier, Si tu veux la paix, prépare la guerre.
TABLE DES MATIÈRES
5/5 L'Homme Nouveau N° 1665 du 9 juin 2018
Préface Avant-propos
Ire Partie : La démocratie et la guerre
Introduction
Ch.1er La démocratie face à la guerre.
Ch. Il La fin de la guerre juste
Ch. III Le rêve de paix universelle
Ch. IV La révolte métaphysique et le nihilisme occidental
Ch. V Penser la guerre et le métier des armes dans le contexte actuel selon Henri Hude
Conclusion
IIe Partie : Comprendre la guerre
Introduction
Ch. 1er Les principales causes de la guerre
Ch. II Le retour de la guerre totale
Ch. III Le rôle du chef
Ch. IV Laguerre est un instrument du politique
Conclusion·
IIIe Partie : L'Église catholique- et la guerre
Introduction
Ch. 1er L'Église catholique et la société
Ch. Il La doctrine de la guerre juste
Ch. Ill L'Église catholique et la paix
Conclusion générale : pour un renouveau des principes de la guerre juste.
<p align="right">Bernard Seillier <a href= http://www.hommenouveau.fr/ target=_blank>www.hommenouveau.fr</a>
<p align="right">Lectures Françaises <a href= http://www.lectures-francaises.info/2018/06/13/une-guerre-peut-elle-encore-etre-juste/?preview_id=14456&preview_nonce=82aa564bfe&post_format=standard&_thumbnail_id=14457&preview=true
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Suivre la voie sacramentelle
5/5 L'Homme Nouveau N° 1665 du 9 juin 2018
L'époque dans laquelle nous sommes entrés devrait en quelque sorte s'apparenter à une « veillée d'armes » générale, d'autant plus consciencieuse qu'elle doit précéder une guerre finale nécessitant tout le rayonnement de la divine Sagesse. Et par là même, afin de préparer et mener cette guerre selon la justice et la vérité, la condition requise ne saurait être autre que la voie sacramentelle telle que suivie et prescrite par une sainte Jeanne d'Arc à tous ses hommes d'armes avant les combats.
En résumé, si nous voulons la paix extérieure, la préparation de la guerre qui relève du pouvoir suppose effectivement l'exercice de la prudence politique, mais celle-ci présuppose la paix intérieure, lumière que l'âme ne peut trouver que dans le Christ-Jésus : « Je vous ai dit ces' choses afin que vous ayez la paix en moi. » (8)
La recherche de la paix nous conduit donc inéluctablement à faire la guerre à nos propres ennemis intérieurs, nous en sommes avertis : « Je vous laisse ma paix; c'est ma paix que je V01fS donne ;je ne vous la donne pas comme le monde la donne. Que votre cœur ne se trouble ni ne s'effraie. » (9) C'est ce qui avait conduit le bienheureux Newman à adopter cette devise « La sainteté plutôt quela paix.» (10)
Par BERNARD SEILLIER
<p align="right">Bernard Seillier <a href= http://www.hommenouveau.fr/ target=_blank>www.hommenouveau.fr</a>
<p align="right">Lectures Françaises <a href= http://www.lectures-francaises.info/2018/06/13/une-guerre-peut-elle-encore-etre-juste/?preview_id=14456&preview_nonce=82aa564bfe&post_format=standard&_thumbnail_id=14457&preview=true
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Écouter la divine Sagesse
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Plus tard, la révélation du Chef sacré de Jésus comme siège de la Divine Sagesse à Teresa Helena Higginson, institutrice anglaise stigmatisée à la fin du XIXe siècle, fit d'elle la messagère d'un enseignement sur la divine Sagesse nécessaire au monde entier accablé par les grands fléaux de nos jours qui sont ceux de l'orgueil intellectuel et de l'infidélité à Dieu. Les pratiques politiques actuelles affectent effectivement non seulement la paix publique mais aussi la paix intérieure de notre âme et nécessitent pour « achever Clausewitz », c'est-à-dire éviter la montée aux extrêmes, le concours de la divine Sagesse.
Chacune de ces deux révélations se complète en effet pour « nous introduire dans la vérité tout entière » (7). Teresa Higginson écrivit à ce sujet à son directeur spirituel :
« Notre Seigneur me montra cette Divine Sagesse, ainsi que je le disais, comme la puissance directrice qui régla les mouvements et les affections du Sacré-Cœur, me faisant voir qu'Elle a, sur le moindre de Ses Actes, en l'élevant, le même effet et le même pouvoir que le soleil faisant monter la vapeur de l'océan. Il m'a donné à entendre qu'une adoration et vénération spéciales devraient être rendues au Chef Sacré de Notre Seigneur, en qualité de Siège de la Divine Sagesse, puissance directrice des sentiments du Sacré-Cœur, et qu'ainsi serait complétée cette céleste dévotion...».
La prétention humaine à se croire détentrice d'une raison autonome pour ne pas dire autiste et toute-puissante, accélère la destruction de l'humanité. Les mots de justice et de vérité sont travestis ou bannis de la vie politique. Malgré les dégâts accumulés depuis le siècle des Lumières, une protection demeurait du fait de la survivance des principes généraux de la civilisation. Aujourd'hui, depuis les années 1960, c'est tout l'édifice de la civilisation chrétienne qui est sapé dans ses fondements (famille, école, Justice, culture, mœurs publiques) si bien que l'armée apparaît aux yeux de nombreux Français comme la seule institution encore digne de confiance grâce aux valeurs morales qu'elle a su maintenir.
Les principes de la sagesse philosophique traditionnelle qu'on vient d'évoquer étaient fondés sur les vertus cardinales : là prudence, la tempérance, la force d'âme et la justice. Celles-ci doivent continuer à être une référence. Le colonel Legrier souligne ainsi judicieusement « l'effort non seulement militaire mais surtout intellectuel nécessaire pour faire face aux deux menaces principales que constituent le Djihad, c'est-à-dire la propagation de l'Islam par la force et la terreur et dont les actes terroristes que nous connaissons ne sont que les prémices, et le chaos engendré par des flux migratoires devenus incontrôlables » gros pour certains d'une guerre civile à venir, et d'une guerre économique brouillant la lisibilité des conflits sous couvert de mondialisation.
Fruit d'une sagesse philosophique
5/5 L'Homme Nouveau N° 1665 du 9 juin 2018
Pour qu'il en soit ainsi dans l'engagement d'une guerre, il faut que l'autorité qui la décide soit légitime, que la cause soit justifiée et que l'intention qui la sous-tend ne soit pas biaisée. On mesure donc à quel point la construction de la doctrine de la guerre juste par l'Église catholique depuis ses Docteurs jusqu'à notre époque se situe aussi sur le plan de la sagesse philosophique et politique qui comprend évidemment en premier lieu le culte dû à Dieu. Quand des doctrines inspirées par Machiavel (bellicisme), Kant (pacifisme) et Joseph de Maistre (providentialisme) contrarieront la doctrine de l'Église, celle-ci développera aussi ses réflexions sur la paix.
Le souci de la paix, constant au cours des siècles, est redevenu majeur pour le Saint-Siège depuis Benoît XV au moment de la guerre de 14-18 jusqu'à nos jours. Que l'on pense à Paul VI inaugurant en 1967 la réflexion annuelle des Papes sur la paix le 1er janvier. La doctrine de la guerre juste fut à nouveau évoquée à l'occasion des guerres déclenchées au nom des illégitimes théories du « droit d'ingérence ». On a su que le pape Jean-Paul II avait mis en garde le président Bush, avant le déclenchement de la première guerre du Golfe en 1991, sur l'embrasement du monde musulman que cette intervention ne manquerait pas de provoquer. Dans un tel contexte, l'essai du colonel Legrier est particulièrement bienvenu pour sa contribution à la réouverture de ce débat régalien s'il en est, à une époque pleine de confusion sur le sens de la justice et de la paix et lourde de menaces multipliées et diversifiées.
Si la paix est ô combien désirable, la tentation est grande pour l'humanité de la falsifier ou de chercher à se la procurer par une pseudoprudence au nom de fallacieux droits de l'homme sans Dieu : « Le fruit de cet arbre était bon à manger et séduisant à voir (...) désirable pour acquérir le discernement » (2). Ne sommes-nous pas toujours prisonniers de cette prétention orgueilleuse à nous passer de Celui qui nous a prévenus : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire » (3) ? Glosons : « Sans moi, vous ne goûterez jamais le fruit délectable de la paix. »
Si nous désirons la paix face à une menace de guerre, il est impensable de rester passifs. Nous devons agir, donc combattre mais avec la paix véritable pour fin. Il est ainsi impossible de réussir durablement sans le concours de Celui qui est le Prince de la Paix. C'est précisément ce que nous devons comprendre dans le précepte« Si tu veux la paix, prépare la guerre ». La paix, fruit de l'arbre de la justice, ne peut pas être goûtée en court-circuitant la vérité. Parce que nous ne devons pas nous séparer de Celui qui nous a dit : « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » (4) sous peine de tomber sous le pouvoir de « l'homicide depuis le commencement ». Ne doit-on pas dire avec saint Paul qu'au cœur de toute guerre, « ce n'est pas contre des adversaires de sang et de chair que nous avons à lutter, mais contre les Principautés, contre les Puissances, contre les Régisseurs de ce monde de ténèbres, contre, les esprits du mal qui habitent les espaces célestes ». (5)
Notre alliance avec la Sagesse éternelle - que Jean-Paul II nous a rappelée lors de son homélie au Bourget en 1980 - correspond d'une manière éminente à ce travail de méditation préparatoire dans l'union au « Christ-Roi, Prince de la Paix, Maître des Nations » (6).
Nous sommes là au cœur du mystère de l'enseignement du Christ en nous par sa grâce qui ne vient pas abolir la nature mais la guérir et la porter à sa perfection comme l'a précisé saint Thomas. Il s'agit ainsi d'une pédagogie divine, d'autant plus immanente qu'elle est transcendante, qui instruit les consciences ordonnées par le désir originel du Souverain Bien, dont la paix est une forme d'incarnation et une fruition anticipée. La doctrine de la guerre juste ne saurait en faire l'économie et doit en découler dans son ordre propre.
La révélation du Sacré-Cœur à sainte Marguerite-Marie fit d'elle la messagère d'un enseignement sur l'amour divin nécessaire à la France meurtrie par les guerres de religion et en débat avec le jansénisme.
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Une guerre peut-elle (encore) être juste ? 1
5/5 L'Homme Nouveau N° 1665 du 9 juin 2018
Le colonel François-Régis Legrier nous entraîne dans une réflexion importante à partir de la devise de l'École de guerre : « Si tu veux la paix, prépare la guerre ». La formule semble provocatrice car nous postulons une antinomie irréductible entre la guerre et la paix. La suite : « Essai sur la guerre juste » en dévoile la vérité cachée.
La justice est un des problèmes fondamentaux de l'humanité avec celui de la vérité. Elle est pour cela la clef de la paix ainsi que l'a déclaré le prophète Isaïe : « La paix est le fruit de la justice » (1). Saint Augustin et saint Thomas d'Aquin ont précisé sa nature, comme étant la tranquillité de l'ordre. Mais cet ordre générateur de la tranquillité et de la paix, répond à une condition très rigoureuse précisée avec une inépuisable teneur par le jurisconsulte Ulpien au début du IIIe siècle avant J.-C. : « La justice est la ferme et constante disposition de la volonté à rendre à chacun ce qui lui est dû. »
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