Jusqu'à l'inauguration de son aéroport, le 14 octobre 2017, l'île de Sainte-Hélène, perdue dans l'océan Atlantique, n'était reliée au monde que par voie maritime - ce qui supposait une navigation d'au moins cinq jours depuis l'Afrique du Sud.
L'ambassadeur Jean Mendelson, envoyé deux ans auparavant dans l'île pour signer avec le gouvernement local un accord sur les Domaines français de Sainte-Hélène, raconte cette dernière mission par mer, qui coïncide avec le bicentenaire de l'arrivée de Napoléon, tout en imaginant la vie du prisonnier et en situant le personnage dans les débats politiques contemporains.
L'émotion que provoquent naturellement les lieux chargés d'histoire est, à Sainte-Hélène, décuplée par l'extrême isolement de l'île et Mendelson, loin de récuser cette émotion, se laisse conduire par l'épopée chantée par Victor Hugo. Au-delà de la légende ou du parti pris, il examine les raisons de la vivacité des débats sur la Révolution et l'Empire dans lesquels prennent racine nombre d'aspects de la France contemporaine. Robespierre et Napoléon, avec leurs fulgurances comme leurs fautes - et parfois leurs crimes -, ne demeurent-ils pas les personnages les plus clivants de notre histoire, déclenchant toujours, deux siècles plus tard, haine ou adulation, critique systématique ou admiration sans borne ?
Toujours l'isolement, l'abandon, la prison,
Un soldat rouge au seuil, la mer à l'horizon,
Des rochers nus, des bois affreux, l'ennui, l'espace.
Des voiles s'enfuyant comme l'espoir qui passe.
L'expiation, Victor Hugo
L'atmosphère est émouvante, parfois bouleversante. Les deux petits lits de campagne, qui sont installés dans le cabinet de travail du prisonnier et dans le salon où il recevait ses invités et où il est mort, suscitent une sorte de paralysie - en réalité les originaux sont aux Invalides et à Bois-Préau, mais qu'importe ? Dans les derniers jours, le malade avait été transporté dans le salon, la pièce la plus éclairée, et c'est ici que, le 5 mai 1821, "à six heures moins onze minutes du soir, au milieu des vents, de la pluie et du fracas des flots, Bonaparte rendit à Dieu le plus puissant souffle de vie qui jamais anima argile humaine", écrira Chateaubriand dans ses Mémoires d'Outre-Tombe. Le lendemain son corps, recouvert de l'uniforme de colonel de la Garde, a été placé dans le cabinet où la population de Sainte-Hélène, qui dans sa grande majorité ne l'avait jamais vu, a défilé, ainsi que les officiels civils et militaires britanniques et les commissaires des puissances alliées.