Quid novi Guitry !
5/5 Présent .
.----. Ancien pensionnaire de la Comédie Française, metteur en scène, historien des spectacles
et des comédiens, Jacques Lorcey est le spécialiste de la vie et de l’oeuvre de Guitry. Mais
on lui doit aussi des études, qui font autorité sur Molière, Georges Feydeau, Edmond
Rostand, Marcel Achard, Bourvil, Fernandel, etc.
Dire que Guitry et Paris, c’est une histoire d’amour, serait encore ne rien dire. C’est une
passion. Qu’on en juge : « On doit être à ses ordres, à sa dévotion, quand Paris vous a
fait l’honneur de vous admettre. Aimer Paris rend orgueilleux, car il vous devient à ce
point nécessaire qu’on en arrive à croire qu’on peut lui être utile. »
Et encore : « Etre Valentinois, c’est être natif de Valence, Draguignanais de Draguignan,
Briochain de Saint-Brieuc – mais être Parisien, ce n’est pas être né à Paris : c’est y
renaître. Et ce n’est pas non plus y être – c’est en être. Et ce n’est pas non plus y vivre –
c’est en vivre. Car on en vit – et on en meurt. Etre de Paris, ce n’est pas y avoir vu le jour
– mais c’est y voir la lumière. »
Jacques Lorcey sait tout ça par cœur. Et mieux : avec le cœur. D’où cette promenade
émaillée d’anecdotes qui racontent la vie et l’oeuvre d’un écrivain – le Molière du XXe
siècle – qui fut effectivement le roi de Paris, un temps détrôné par les nains et les jaloux
mais revenu, comme le phénix, reconquérir son royaume.
« C’est pour cela, écrit Lorcey, que Paris n’a pas oublié ce créateur de génie et que nous
porterons toujours ses fleurs préférées à l’entrée du cimetière de Montmartre afin de
remercier Sacha Guitry, éternel jeune homme qui rassurait nos angoisses en disant : Il
n’est pas de puissance humaine, et si malfaisante soit-elle, qui puisse retarder l’éclosion d’ une
rose. »
Au Si Paris m’était conté de Guitry répond donc ce « Et si Guitry m’était conté » de
Lorcey. La sinistre pasionaria Hidalgo allume et éteint la Tour Eiffel au gré de ses
humeurs. Guitry, lui, voulait éclairer la statue de Jeanne d’Arc, les Invalides, l’Arc de
Triomphe, la statue de Clemenceau, l’Opéra, la statue de Molière, Notre-Dame (« Pour
que le Bon Dieu la conserve à jamais »).
Guitry prophète ? Aussi ! Dans Remontons les Champs-Elysées (naguère la plus belle
avenue du monde devenue aujourd’hui un champ d’épandage), il dit : « Nous avons
toujours eu une fâcheuse tendance à retenir chez nous des étrangers qui ne nous étaient
pas absolument nécessaires. »
Lorcey fait litière (avec un précieux dossier en annexe, « L’Affaire Sacha Guitry ») de
l’injustice inique de 1944 commise contre Guitry. Il s’en relèvera. Mais il en restera
marqué à jamais.
Un beau cahier de photos, tiré de la riche Collection Lorcey, contribue à illustrer – au
sens fort du terme – la vie et l’oeuvre de ce Parisien de l’espèce amoureuse. Avec ce crève-cœur
de revoir son hôtel particulier du 18 avenue Elisée-Reclus, près du Champ-de-
Mars, livré aux démolisseurs quand il aurait pu être, avec ses trésors, ce Musée Guitry
qui reste à créer. [ Alain Sanders dans " Présent ", n° 8956 du samedi 30 septembre 2017 ]