"Autant Charles III, dit le Simple, n'a pas trop de secrets pour nous, autant Rollon et Gisèle sont des plus controversés : qui est ce Viking, Hrólfr / Rollon, dont descendent les ducs de Normandie et les rois d'Angleterre ? Sa véritable origine demeure une énigme, tout comme la date de ses premiers raids en territoire franc et celle de sa mort. Et quel âge a Gisèle, cette fille du roi née de son union avec Frédérune (qu'il a épousée en 907...), lorsque son père la donne en mariage à Rollon ? Ce ne peut être déjà "la plus accomplie des jeunes filles" décrite dans les chroniques.
Faisant fi de ce flou historique, Jacques Henry reconstitue magistralement, à sa manière, la célèbre rencontre entre le chef viking et le roi des Francs, et prête à Gisèle le seul rôle féminin de la pièce !
En choisissant de mettre en scène ce moment essentiel de l'histoire normande, Jacques Henry s'octroie toute liberté pour évoquer la rencontre ! Il respecte la règle des trois unités du théâtre classique : l'unité d'action concentre l'intérêt dramatique sur les objectifs des deux parties, l'unité de temps limite la durée de la représentation à celle de l'entrevue, l'unité de lieu fait coïncider l'espace scénique à la seule salle capitulaire de l'abbaye de Saint-Clair. L'antagonisme entre les Vikings et les Francs est rehaussé par la présence des deux chœurs : celui des moines francs et celui des guerriers scandinaves, et le dramaturge insuffle à sa pièce un soupçon d'humour qui la rend particulièrement attrayante. Tout se joue sur la base d'un rapport de force et d'intérêts contradictoires. Les personnages sont bien campés - et toute ressemblance avec leurs modèles historiques serait bien évidemment fortuite. Mais qu'importe ! Et pour cause ! Côté franc, un roi qui veut se concilier les Vikings et qui est prêt à donner sa fille en mariage à leur chef ; un seigneur, Robert, qui lorgne sur la Neustrie et la main de Gisèle, et préfère en découdre avec les barbares ; un archevêque peureux mais intègre ; et Gisèle, presque moderne... Côté scandinave, le héros, Hrólf, autrement dit Rollon, fort de son intelligence et du respect de ses hommes, et un de ses fidèles, le vieux Sigfred, viking un jour, viking toujours, incapable d'accepter de nouvelles attitudes et prêt à comploter pour faire échouer la "trêve" en vue.
Dans cette surprenante ambiance médiévale, Jacques Henry emporte le spectateur au gré de dialogues parfois époustouflants et le captive d'un bout à l'autre. Il fallait de l'audace pour planter ce décor et imaginer une telle confrontation entre des personnages que tout oppose : et le pari est réussi ! Loin des incertitudes historiques, "la trêve du roi Charles" s'offre ici un éclairage psychologique tout à fait saisissant". Extrait de la préface de Jean Renaud.