Quatre questions à Bernard Antony, Réflexions sur le monde actuel
5/5 Présent, n° 8709 07/10/2016
- Le titre de votre dernier livre, Réflexions sur le monde actuel, serait-il en écho de l'essai de Paul Valéry en 1931, Regards sur le monde actuel ?
A vrai dire, non. Le titre complet du livre de Paul Valéry est : Regards sur le monde actuel et autres essais. C'est, en effet, un recueil - avec d'ailleurs des éditions successives différemment composées - de 1931 à 1945, d'articles et d'essais portant principalement sur la culture, les lettres, les arts et quasiment pas sur ce que précise bien mon sous-titre : Les grands phénomènes idéologico-religieux et leur avenir. Aussi n'y a-t-il rien de spécifique, dans le recueil de Valéry, sur le fascisme, le communisme, le nazisme, rien sur l'islam, mais bien sûr plus sur l'avenir de... l'Académie française. Je n'ai donc pas cru obligatoire de me priver du terme très général de « monde actuel » qui est bien mon sujet. « Actuel » me semble ouvrir sur plus d'espace qu'un strict « aujourd'hui » comme utilisé par Charles Maurras (Votre bel aujourd'hui), ou le mot « siècle » employé par Drieu la Rochelle (Notes pour comprendre le siècle).
- Les idées mènent le monde, dites-vous. Et souvent les plus folles, non ?
J'en suis persuadé, en effet. C'est notamment le cas des « idées chrétiennes devenues folles » selon la très pertinente expression de Chesterton pour nommer les dévoiements du christianisme dans les utopies du socialisme et du communisme, vieilles comme le monde, et - on pourrait dire - comme le « prince du monde ».
- Ce livre est le résultat de réflexions pointues, mais il est aussi nourri de vos expériences militantes. C'est le livre d'une vie ?
Sur ma vie et mes combats, que j'ai souvent partagés avec vous, cher Alain Sanders, j'ai répondu aux questions de Cécile Montmirail dans les deux volumes de Bernard Antony raconte. Pour ces Réflexions sur le monde actuel, j'ai opté aussi pour la formule de l'entretien car Cécile Montmirail est une incomparable « questionneuse » qui, depuis de longues années que nous travaillons ainsi, m'aide vraiment à aller à l'essentiel de ce que je crois devoir exposer. Mais je ne dirais pas, néanmoins, que ces réflexions constituent le « livre d'une vie ». Nul ne sait ni le temps ni l'heure. Mais, si le temps m'en est accordé, le « livre de ma vie » porterait plutôt sur ce que j'ai connu de triste « hommerie » dans la vie politique de notre époque de grand effondrement, mais aussi sur ce que j'ai rencontré d'admirable, d'héroïcité, de vérité et - donc - de vraie liberté, de sainteté, chez des personnes grâce auxquelles, malgré tout, la société des hommes n'est pas toujours un enfer. Or, comme annoncé, mes réflexions sur le monde actuel portent principalement sur les grands phénomènes idéologico-religieux et aussi - d'abord et surtout peut-être - sur ce que j'appelle le « néototalitarisme ». C'est, enfin, un complément réactualisé et tourné sur le futur de ce que j'ai pu écrire dans mes livres sur l'histoire des juifs, sur l'islam, sur le communisme, sur la franc-maçonnerie et, bien sûr, le christianisme.
- Vous n'êtes guère optimiste sur la suite du « film »... Des raisons d'espérer quand même ?
épétons-le une fois de plus avec Bernanos : « L'optimisme est l'espérance des imbéciles. » Et, certes, pas plus aujourd'hui qu'en 1914 ou 1939, nous autres Français ne pouvons nous bercer de l'illusion d'un avenir irénique. Voilà pourquoi, en conclusion, j'ai tenu à redire - avec Bainville pour le coup :
« Mais le pire n'est jamais sûr ! » Et d'ajouter : « Raison de plus, plus que jamais, pour agir et prier ! »
Propos recueillis par Alain Sanders
<p align="right">Alain Sanders <a href= http://www.present.fr/ target=_blank>www.present.fr</a>
Analyses pertinentes !
4/5 https://lanef.net/
.----. La corrélation permanente entre l’action et la réflexion définit bien la valeur ajoutée de Bernard Antony. Notre auteur s’interroge sur « les grands phénomènes idéologico-religieux et leur avenir », en évitant l’écueil de la réduction à la causalité mécanique. Cette dernière est en effet constamment contrariée par l’« hétérotélie », soit la mise en œuvre de paramètres contingents à partir desquels la fin atteinte correspond rarement au but poursuivi, ce qui réduit à néant le déterminisme historique.
Dans ce tour d’horizon, Bernard Antony s’intéresse particulièrement aux néo-totalitarismes. Le premier d’entre eux entend que la loi civile prime la loi morale et qu’une religion ne soit licite que moyennant son adhésion préalable aux « valeurs de la République ». La « pensée unique, celle du politiquement correct de gauche, de la théorie de la déconstruction, de la vertu du déracinement systématique au nom de l’idéal d’émancipation de l’individu », c’est-à-dire « le soi-disant antiracisme », est le « soubassement culturel du totalitarisme actuel » (p. 46). Il conduit à une forme de génocide qui vise en fait la nature humaine elle-même.
L’autre totalitarisme est, a contrario, celui de l’islam dont la charia codifie tous les détails de la vie sociale, qui ne considère ceux qui n’appartiennent pas à l’oumma au mieux que comme des citoyens de seconde zone (dhimmis). Bernard Antony estime que la collusion entre ces deux totalitarismes, à travers l’étonnante complaisance du laïcisme à l’égard de l’islam, fera long feu.
Le cardinal Ratzinger, alors Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, signalait que la juste autonomie de la sphère publique à l’égard de la sphère religieuse ne saurait se traduire en émancipation du politique à l’égard de la morale naturelle. Benoît XVI, au Parlement allemand, faisait observer avec beaucoup d’audace que le christianisme, contrairement aux autres grandes religions, n’a jamais imposé à l’État ou à la société un droit révélé, mais qu’il a toujours renvoyé à la nature et à la raison comme sources du droit.
L’essai de Bernard Antony livre bien d’autres analyses pertinentes sur d’autres phénomènes majeurs. La conclusion est lucide, c’est-à-dire pessimiste, bien que le pire ne soit jamais sûr, comme l’auteur l’affirme lui-même.
[ Signé : Abbé Christian Gouyaud le 1 novembre 2016 ]
PS : À propos : Abbé Christian Gouyaud - Docteur en théologie, curé dans le diocèse de Strasbourg, membre de Totus tuus, il est l’auteur notamment de La catéchèse, vingt ans après le Catéchisme (Artège, 2012), Quelle prédication des fins dernières aujourd’hui ? (La Nef, 2011). Il collabore régulièrement à La Nef.
PS : Qu’est-ce que La Nef ? : La Nef a été créée en décembre 1990, c’est un magazine mensuel, catholique et indépendant. Ce faisant, La Nef s’inscrit clairement et sans complexe dans une ligne de totale fidélité à l’Église et au pape qui la gouverne.