Riche ouvrage
4/5 Présent .
.----. Nous ne pouvons, en un trop bref entretien, aborder tous les thèmes évoqués dans ce riche ouvrage, de l’importance du droit canon à celle des sacrements, de l’influence du concile Vatican II sur Mai 68 à la mise en place possible d’une « réforme de la réforme », de la sacralisation du migrant au synode sur l’Amazonie. Mais quelques questions à l’abbé Matthieu Raffray du Bon-Pasteur, qui a dirigé le recueil, permettront à nos lecteurs d’en connaître l’orientation.
— Monsieur l’abbé, faut-il avoir des connaissances approfondies en théologie pour aborder cet ouvrage ?
— Cet ouvrage collectif, composé d’articles de niveaux et de portées différents, est bien sûr accessible au grand public. Mais certaines contributions se veulent plus scientifiques, et intéresseront donc davantage ceux qui veulent entrer plus en profondeur dans la question théologique des racines de la crise de l’Eglise contemporaine. Car le thème général de l’ouvrage concerne immédiatement et de manière pressante tous les catholiques : où en sommes-nous, et comment en sommes-nous arrivés là ? Il y a le constat que tout le monde fait : l’Eglise a pratiquement disparu des écrans. Paroisses âgées et idéologisées, séminaires et couvent désespérément vides, églises à l’abandon ou vandalisées, évêques muets ou même complaisants devant la sécularisation... Mais les réponses et les solutions ne sont pas si simples : pour être audibles, elles nécessitent de chercher les causes de cette crise, et donc d’entrer dans des catégories théologiques précises, historiquement et conceptuellement – et en particulier de revenir sur cet événement bouleversant qu’a été pour l’Eglise le concile Vatican II. Il ne s’agit pas de « couper les cheveux en quatre » ou de se perdre en « discussions talmudiques », mais bien d’ouvrir les yeux avec lucidité sur certaines causes du drame que vit l’Eglise, et que vivent tous les catholiques aujourd’hui. On ne peut plus rester silencieux ou inactif. Il faut impérativement que les prêtres et les évêques se réveillent, et remettent en cause plus de 50 années de laxisme théologique et de désastre pastoral.
— Ce colloque n’entre-t-il pas très précisément dans le cadre de l’une des missions imparties au Bon-Pasteur : la critique constructive des textes du concile Vatican II ?
— Lors de la fondation de l’Institut du Bon-Pasteur, en 2006, son charisme propre a été défini par le Saint-Siège en deux points particuliers : le droit propre pour ses prêtres de ne célébrer que la messe traditionnelle (il n’était pas encore question à l’époque de « forme extraordinaire » ou de Motu proprio), et la mission de procurer pour l’Eglise les éléments d’une « critique constructive » au sujet des textes de Vatican II et des réformes qui ont suivi. A l’heure où certains théologiens se permettent de discuter du sacerdoce des femmes, de la morale sexuelle ou même de l’immutabilité divine, il serait tout à fait absurde de ne pas pouvoir parler – avec sérénité et intelligence – des textes du dernier concile : il me semble que de nos jours, cinquante ans après l’événement, beaucoup de postures idéologiques ont disparu. Il ne s’agit plus d’être « pour » ou « contre », mais d’étudier, d’argumenter, et de proposer des pistes d’éclaircissement, éventuellement de correction pour certains passages ambigus et dont l’histoire récente a montré les limites ou les dangers... Je suis convaincu qu’il est désormais possible, scientifiquement et avec bienveillance, de se poser les bonnes questions, urgentes pour le bien de l’Eglise et pour le bien des fidèles : c’est cela la vraie « pastorale », le rôle qui revient à tous les « bons pasteurs ».
— La question est posée dès l’introduction : peut-on dissocier dogme et pastorale ?
— C’est bien là le point de départ de notre ouvrage : on invoque sans cesse aujourd’hui dans les innombrables conseils, instances et groupes de réflexion ecclésiaux la notion de « pastorale », comme un talisman qui justifierait toutes les approximations doctrinales et compromissions morales... Mais plus on s’enfonce dans cette voie, plus les peuples chrétiens semblent indifférents et même hostiles au discours de l’Eglise. C’est qu’il y a donc un problème fondamental : celui de croire que la pastorale serait une alternative à la doctrine de la foi. C’est ici une erreur philosophique, typique de la modernité : celle qu’on appelle le libéralisme, et qui place la liberté individuelle (sous la forme de l’appréciation personnelle, de l’expérience ou du ressenti) au-dessus de l’enseignement objectif de la vérité. Au contraire, Jésus-Christ est venu dans le monde nous révéler son Père, nous enseigner une vérité surnaturelle. C’est cela que les hommes attendent : qu’on leur annonce la bonne nouvelle sans compromission, sans ambiguïté, même si cette parole de foi ne plaît pas au monde ! Nos ancêtres dans la foi, les martyrs et les confesseurs de tous les siècles nous ont montré ce chemin : à nous, chrétiens, de répondre à notre tour à cet appel du Sauveur.
[ Anne Le Pape dans Présent – Samedi 15 août 2020 ]