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Chiré : soixante années pour la diffusion de la pensée française

Depuis 1966, aux portes de la Vendée militaire, l’équipe de Chiré œuvre à la diffusion de la pensée française.

D’où est venue l’étincelle ? Tout commence dans le courant de l’année 1960 avec une poignée d’étudiants à Poitiers. Révoltés par la volte-face du général de Gaulle, qui a été porté au pouvoir en 1958 sur la promesse du maintien de l’Algérie française, et qui, par étapes successives, a réorienté sa politique en faveur de l’indépendance algérienne. Pour ces jeunes patriotes, profondément blessés par le souvenir de la défaite de 1940 et par l’abandon de l’Indochine, regardés comme autant d’étapes d’un chemin de croix national, et écœurés par l’esprit général de capitulation, il est pour eux vital de réagir. Au premier rang se trouve Jacques Meunier, qui manifestait déjà en 1956, à l’âge de 14 ans, contre la répression soviétique en Hongrie.

Ils entrent en contact avec un groupe informel animé par un vétéran : le docteur André Colas (1902-1964), ancien résistant membre du réseau Confrérie Notre-Dame du colonel Rémy. L’action de ces jeunes militants consiste à coller des affiches et à distribuer des tracts. En retour, ils subissent la répression du pouvoir gaulliste, dans la foulée du putsch manqué des généraux, en 1961.

Le combat perdu pour l’Algérie française agit cependant comme un catalyseur. Face à l’hégémonie du marxisme, particulièrement pesante dans les facultés, et face à ses courroies de distribution progressistes de tous ordres, notamment, en ces années d’aggiornamento ecclésiastique consacré par Vatican II, du côté des « chrétiens de gauche », il apparaît nécessaire de faire pièce à la puissante Union nationale des étudiants de France (l’UNEF), devenue chasse gardée de la gauche étudiante et au sein de laquelle est en train de fermenter le mouvement de mai 68.

C’est ainsi que surgit en 1963, toujours à l’initiative de Jacques Meunier, la Fédération générale des étudiants de Poitiers (FGEP), section locale de la Fédération nationale des étudiants de France (FNEF), qui se dote d’un bulletin mensuel étudiant : Poitiers université (1964-1978).

Parallèlement se monte une coopérative étudiante de librairie qui permet de fournir à prix réduit les livres universitaires aux étudiants de la FGEP. Jean Auguy, étudiant à la faculté de droit et de sciences économiques, en est la principale cheville ouvrière.
Persuadés, en ces années où les esprits subissent une désorientation massive, que le combat principal est celui des idées, qu’il s’agit par conséquent de mener une contrerévolution intellectuelle, spirituelle et morale et qu’une des armes principales de ce combat se trouve être le livre, Jean Auguy, Jacques Meunier et la petite équipe de Poitiers université décident de transformer l’essai et de monter une librairie par correspondance – la première fondée en France – destinée à distribuer notamment les ouvrages à contre-courant de la révolution en marche : livres trop souvent ignorés ou boycottés par les media et les grands réseaux de distribution.

Ainsi voit le jour en 1966 la Diffusion de la pensée française (DPF), dont Jean Auguy prend la direction et qui s’installe à Chiré-en-Montreuil, à 25 km à l’ouest de Poitiers, près de la route nationale 149 qui rejoint Nantes par Parthenay et Bressuire. Les premiers locaux appartiennent au comte Aymer de La Chevalerie : il s’agit de l’ancienne école confessionnelle locale. En 1992, la DPF emménage au lieu-dit La Caillauderie, toujours sur la même commune.

Conjointement est lancé un bulletin littéraire destiné à soutenir l’activité de la DPF : Lecture et Tradition, et qui, toujours sous la direction de Jean Auguy, est animé par la jeune équipe de Poitiers université qui peu à peu s’étoffe : Jacques Meunier, Christian Lagrave, Henri Servien, Jean-Paul Roudeau, Jean-Baptiste Geffroy et Jean Séchet. Lecture et Tradition se déclare expressément contrerévolutionnaire (no 9, janvier 1968).

La Diffusion de la pensée française n’est donc pas seulement héritière du nationalisme français, illustré notamment par Maurice Barrès et Charles Maurras. Les fondateurs de la DPF ont compris que la contrerévolution, selon la formule de Joseph de Maistre, « n’est pas une révolution contraire, mais le contraire de la Révolution ». Il s’agit de défendre et de faire connaître la Tradition qui est au principe des traditions françaises et de la civilisation, c’est-à-dire la Tradition catholique. La DPF s’inscrit donc explicitement dans la filiation des maîtres originels de la contrerévolution – l’abbé Barruel, Louis de Bonald, Joseph de Maistre – et des catholiques antilibéraux, au premier rang desquels Louis Veuillot, dom Guéranger ou le cardinal Pie, évêque de Poitiers (de 1849 à 1880), pour lequel l’équipe de la DPF éprouve une bien naturelle vénération.

En 1971, la DPF devient éditeur avec son tout premier titre signé Marie-Madeleine Martin : Le Latin immortel. Suivent bientôt deux ouvrages de Léon de Poncins (1897-1975), un vétéran des combats contrerévolutionnaires (Top secret en 1972 et Histoire du communisme en 1973), ainsi que La Contrerévolution en Algérie de Robert Martel (1972). Les éditions de Chiré sont lancées. À ce jour, 251 titres ont été publiés sous cette marque.

Dès 1970, une première fête du livre de la DPF se tient à Chiré-en-Montreuil, dans le cadre des commémorations des 700 ans de la mort de saint Louis. L’expérience est renouvelée en 1972, pour fêter le bicentenaire de la naissance d’Henri de La Rochejaquelein, général de l’Armée catholique et royale de Vendée (1793-1794). Le coup d’envoi des fêtes du livre de la DPF est donné. S’ensuivent 52 Journées chouannes tenues depuis lors à Chiré.

En 1976, un bureau de la DPF est ouvert à Paris et devient bientôt la librairie Duquesne. En 2013, la DPF reprend à Nantes la librairie Dobrée, fondée en 1978 par Marc Prohom.

Enfin, en 1978, Henry Coston (1910-2001), archiviste en chef de la vie politique française et internationale ainsi que des réseaux qui la traversent et souvent la dirigent, cède à la DPF sa revue mensuelle : Lectures françaises, fondée en 1957.

« Chiré » a donc réussi à constituer un réseau complet au service de la diffusion de la pensée française : une maison d’édition (les éditions de Chiré), une revue d’actualité politique (Lectures françaises), un bulletin littéraire (Lecture et Tradition – les deux organes ont fusionné en 2021), une librairie par correspondance (DPF), avec ses Journées chouannes annuelles, et ses librairies de Paris (Duquesne) et de Nantes (Dobrée).

En 2010, Jean Auguy a transmis le flambeau à son gendre François-Xavier d’Hautefeuille, qui désormais préside aux destinées de l’œuvre de Chiré, dans la fidélité aux principes, aux intuitions et aux aspirations qui lui ont donné le jour.

Certes, entretemps, le monde a changé. À l’Est, l’empire soviétique s’est effondré sur lui-même et le marxisme-léninisme de stricte obédience a perdu, sous les coups de boutoir d’un Soljenitsyne et face à l’épreuve du réel, le pouvoir tentaculaire qu’il exerçait à l’Ouest, et tout particulièrement en France, sur les intelligences et les volontés, de l’Université à l’usine, en passant par les administrations et les salles de rédaction. On a voulu en conclure trop vite au triomphe universel du libéralisme, à la paix générale et à la « fin de l’Histoire ».

C’est oublier que le libéralisme et les pouvoirs qui le promeuvent, sont les fourriers du communisme. Ainsi les mêmes causes finissent par engendrer les mêmes effets, et de nouvelles formes de subversion, de nouvelles formes d’utopies égalitaires aux tendances totalitaires évidentes ont fleuri sur le terreau des « sociétés libérales avancées » où les traditions, la nation, la religion et le droit naturel lui-même, ont perdu droit de cité, précisément au nom du libéralisme. Ces nouvelles formes de subversion ont pour nom : « théorie du genre », wokisme, écoterrorisme, etc.

Le combat contrerévolutionnaire pour la diffusion de la pensée française est donc plus que jamais vital. C’est une question de vie ou de mort.