Inaction des politiques ?
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.----. Renaud Van Ruymbeke sera à la librairie Dialogues, le 19 janvier à Brest pour dédicacer son ouvrage Offshore, dans les coulisses édifiantes des paradis fiscaux
Renaud Van Ruymbeke a été pendant vingt ans juge d’instruction, spécialisé dans les affaires financières. Il a notamment conduit les enquêtes politico-financières dans l’affaire Urba, l’affaire des frégates de Taïwan et l’affaire Clearstream 2. Il a publié les Mémoires d’un juge trop indépendant (Tallandier, 2021).
L’évasion fiscale pratiquée par les GAFAM et autres multinationales, la fraude fiscale exercée à une grande échelle, la corruption de nombreux dirigeants et chefs d’État, l’argent collecté par les mafias et trafiquants de drogue ont un point commun : ils empruntent les mêmes circuits et ont recours aux paradis fiscaux complaisants. Renaud Van Ruymbeke nous entraîne par cette enquête dans les arcanes du monde opaque des paradis fiscaux.
Ce dernier a été le premier juge à être confronté à la complexité des montages juridiques que sont les paradis fiscaux au cours d’enquêtes internationales. Au fil des années, il a appris à en maîtriser les rouages et explique ici avec force d’exemples l’histoire et le fonctionnement des paradis fiscaux, mais également pourquoi c’est si compliqué d’appréhender ceux qui y ont recours. La guerre en Ukraine met en lumière cette problématique puisque les pays occidentaux sont incapables de mettre en œuvre les avoirs des oligarques russes, protégés par l’opacité des structures. Ce livre lève le voile sur l’injustice d’un système qui permet aux plus riches d’éviter de partager leurs ressources.
L’auteur dénonce non seulement l’existence et le fonctionnement des paradis fiscaux mais également l’inaction des politiques. Face à cette spoliation, les États peinent à prendre les mesures nécessaires pour rétablir une justice fiscale. Ils se privent de ressources importantes et maintiennent un état d’injustice flagrant-, en laissant l’argent fraudé s’échapper et faire prospérer les paradis fiscaux. Renaud Van Ruymbeke explique cette inaction et propose des solutions concrètes pour y remédier.
[ Publié le 11 janvier 2023 ]
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Corruption? bénéfices prodigieux...
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.----. Dans son dernier livre, Offshore – Dans les coulisses édifiantes des paradis fiscaux (Éditions Les Liens qui libèrent, 272 pages), le magistrat bien connu Renaud van Ruymbeke s’intéresse aux paradis fiscaux où s’entasse l’argent généré par les fraudes, la corruption et les bénéfices prodigieux engrangés par le crime organisé, dont celui qui résulte du trafic international de stupéfiants.
Les paradis fiscaux
Un paradis fiscal ou « place offshore » est un pays, souvent petit, qui prescrit dans sa législation un secret bancaire absolu vis-à-vis de l’autorité publique. Seul le banquier connaît, à titre confidentiel, le bénéficiaire d’un compte. En outre, la fiscalité y est faible, voire inexistante, à l’égard des sociétés – parfois purement fictives – et des individus fortunés domiciliés sur place.
Les structures offshore (« au large des côtes », en anglais) reposent sur des montages juridiques et financiers très complexes destinés à masquer l’identité des détenteurs réels de l’argent sale. Des experts se chargent de fournir un dispositif constitué d’une ou plusieurs sociétés-écrans et de prête-noms. Une fois blanchis, les fonds pourront être investis dans l’économie réelle.
Le juge Van Ruymbeke a fait connaissance avec ce monde en 1979, à l’occasion de l’enquête sur l’affaire politico-financière des terrains de Ramatuelle, vendus deux fois par le principal suspect qui avait eu recours à une société suisse. Les mécanismes sont désormais plus complexes : « Il paraît loin le temps où un fraudeur fiscal ouvrait un compte à son nom en Suisse et pouvait se croire à l’abri avec un nom de code. »
Il existe de nombreuses places offshore. Certaines jouissent d’une ingénierie financière et offrent toutes garanties de respectabilité, comme la Suisse, le Liechtenstein, le Luxembourg (un pays où 1 600 entreprises sont domiciliées à une même adresse !), Monaco, Chypre, Malte, la City de Londres, le Delaware aux États-Unis (qui compte plus d’un million de sociétés pour un million d’habitants !), Singapour, Hong Kong ou Dubaï. D’autres ne sont que de simples relais comme les îles Caïmans ou le Panama.
La part d’ombre de la mondialisation financière
Depuis une trentaine d’années, la Suisse apparaît paradoxalement comme le pays qui a entrepris le plus de démarches pour appréhender et restituer les avoirs confisqués en faveur des populations spoliées par les dictateurs corrompus et leurs proches, bien que la justice helvétique n’intervienne qu’à l’occasion de dossiers précis.
D’un point de vue politique, la France est mal placée pour donner des leçons de morale : en 1996, suite à des investigations du juge Éric Halphen dans le cadre des marchés des HLM de la Ville de Paris, le Garde des Sceaux Jacques Toubon s’est plaint auprès de son homologue suisse de la collaboration trop étroite des magistrats de son pays avec leurs collègues français !
Les États-Unis, quant à eux, « ouvrent leurs portes aux dictateurs évincés dès lors qu’ils les ont soutenus durant l’exercice de leur pouvoir » et les mettent à l’abri des enquêtes judiciaires, ce qui ne les empêche pas, en vertu du Foreign Corrupt Practices Act, d’infliger des sanctions financières astronomiques aux entreprises et aux banques internationales se livrant à la corruption ou transgressant les embargos qu’ils ont eux-mêmes imposés.
En Grande-Bretagne, faute de volonté politique, la coopération judiciaire est « compliquée et synonyme de temps perdu », comme avec les autres places anglo-saxonnes et asiatiques de façon générale.
Il arrive également que les difficultés proviennent de l’absence d’une justice indépendante dans les pays d’origine. Ainsi, dans le cadre des procédures sur les « biens mal acquis », « la justice en France, qui paraît isolée, a récemment pris l’initiative d’engager des poursuites judiciaires visant des proches de chefs d’État non déchus ». Après la condamnation, en son absence, du vice-président de la Guinée Équatoriale et la saisie de biens somptueux, la rétrocession des fonds n’a pu s’effectuer en faveur d’un État dirigé par le père du condamné et c’est finalement le budget de l’Agence française de développement qui en a été destinataire.
En 2009, les dirigeants des pays du G20 ont fait de la lutte contre les paradis fiscaux une priorité et l’OCDE a été chargée d’en établir trois listes (blanche, grise et noire). Des engagements purement formels des pays concernés suffisent pourtant à échapper aux sanctions, sans que la coopération judiciaire réelle soit prise en compte… Cette année-là, Nicolas Sarkozy s’est encore quelque peu avancé en clamant : « Le secret bancaire, les paradis fiscaux, c’est terminé ! »
Le véritable talon d’Achille d’une société offshore reste le risque de diffusion par un cadre ou un employé des données informatiques et du fichier clients, susceptibles de nuire à sa réputation et de lui faire perdre sa clientèle. Malgré les scandales récurrents, le système lui-même n’est cependant pas fondamentalement remis en cause par les États auxquels il appartiendrait d’éradiquer ce fléau que constitue l’existence des paradis fiscaux.
[ Signé : Johan Hardoy le 30 janvier 023 ]
PS : Pourquoi Polémia ?
Parce que dans un monde en proie au chaos et de plus en plus dominé par le choc des civilisations, il faut avoir le courage de déceler les nouvelles lignes de fracture et de discerner les conflits à venir pour mieux les prévenir.