Du petit officier corse hostile à la France à l'empereur sacré à Notre-Dame par le pontife romain, on n'en finit pas de s'interroger sur la fulgurante ascension de celui qui devient le maître de la France après un coup d'Etat gouvernemental qui met fin à la Révolution. Bonaparte a joué, surmontant les obstacles prévisibles et fortuits, et gagné un pouvoir absolu auquel il aspire depuis des années. En 1800, il détient de nombreux atouts tant par la situation dont il hérite que par ses talents et sa volonté politique. Car le dépôt reçu n'est pas insignifiant, contrairement à ce que ses propagandistes avisés affirment très tôt et les fameuses "masses de granit", notamment, ne sont pas édifiées à partir du néant.
Le dessein d'une stratégie de stabilisation globale, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, et les moyens mis en oeuvre pour y parvenir ont abouti cependant à un échec. Le détenteur du pouvoir absolu en demeure le seul responsable, c'est le corollaire qui s'applique à toute forme de gouvernement dictatorial. Les graves dérives de la politique impériale, amorcées dès la fin du Consulat, ont d'abord figé l'opinion dans un attentisme prudent avant de l'engager dans une hostilité progressivement déclarée. Les Français ne comprennent plus Napoléon qui leur apparaît alors comme étranger à leur nature réelle.
La fréquentation attentive des dossiers, une lente réflexion et des échanges informels avec ces conservateurs de l'ombre qui s'imprègnent au quotidien de la matière des titres et des diplômes sont à l'origine de cet essai qui rassemble des libres propos sur l'empereur et son règne. Commentaires et remarques pourront surprendre. Ils n'intègrent pas, en effet, les données du mythe et de la légende qui ont largement contribué à transformer l'image de Napoléon et à confondre les réalités historiques avec un imaginaire épique. Que les nostalgiques de l'Aigle ne s'enferment pas dans des visions réductrices, mais qu'ils admettent, simplement, qu'on puisse encore librement émettre des réserves, formuler des critiques, établir des comparaisons, comme le genre de l'essai l'autorise. Ils s'apercevront alors qu'une certaine sévérité de propos n'interdit pas nécessairement l'équilibre du jugement.
Nicole Gotteri est archiviste-paléographe, ancien membre de l'Ecole française de Rome et docteur en histoire. Elle a publié un certain nombre d'ouvrages sur le Premier Empire. Elle a notamment présenté les mémoires d'Auguste Petiet (SPM, 1996), écrit des biographies de Claude Petiet et ses fils (SPM, 1999), du maréchal Soult (Giovanangeli, 2000), une étude sur Napoléon et le Portugal (même éditeur, 2004) et La Police secrète du Premier Empire, 1810-1814, 7 vol. (Champion, 1997-2004), ainsi que des inventaires de fonds d'archives concernant la période impériale. Elle est conservateur en chef honoraire du Patrimoine.