L'Action française est assurément, en France, le mouvement d'extrême droite le plus influent du xxe siècle. Née en 1899 sous l'égide intellectuelle de Maurice Barrès, elle tombe rapidement sous l'emprise du royaliste Charles Maurras. Laurent Joly nous livre ici la première étude consacrée à cette naissance, dans le contexte de l'affaire Dreyfus.
Fondateur de l'AF, Henri Vaugeois en appelle alors à une dictature militaire ennemie de "l'humanitarisme" judéo-protestant. Maurras, pour sa part, n'hésite pas à encenser l'action antisémite de Jules Guérin, escroc notoire. Quant à Barrès, compromis dans la tentative de coup d'État de Déroulède en février 1899, il reconsidère son nationalisme à la lueur du racisme crépusculaire de Jules Soury. Tous se retrouvent autour de l'Action française, qui s'institue "laboratoire de nationalisme" avant de se convertir à la "monarchie de salut public" (1901). Le petit groupe fait ainsi le lien entre l'extrême droite du xixe siècle, royaliste et cléricale, et celle du xxe siècle, ultra-nationaliste, xénophobe et volontiers athée.
À partir d'archives privées et de multiples sources inédites, Laurent Joly restitue, à l'échelle des individus, les conditions sociales et les logiques cachées d'une conversion politique. Battant en brèche le récit héroïque des débuts de l'"école" d'AF, l'enquête fourmille de révélations sur la personnalité et les aspirations du duo Barrès-Maurras à l'aube du XXe siècle. Elle apporte ainsi une contribution décisive à l'étude de la magistrature intellectuelle et du charisme en politique.
Laurent Joly, historien, est directeur de recherche au CNRS (CRH-EHESS). Il est notamment l'auteur, chez Grasset, de Vichy dans la "Solution finale" (2006) et a dirigé La Délation dans la France des années noires (Perrin, 2012).