Editorial (extrait) par Jean-Baptiste Geffroy : La longue histoire du paysan et particulièrement celle du paysan français vient de connaître un de ses épisodes les plus misérables et les plus éprouvants, un de ceux qu'il y a quelque temps encore on avait peine à imaginer. Dans l'anonymat d'un bureau bruxellois, la technocratie communautaire a entériné la décision de mettre la terre en friche, et pas n'importe quelle terre, la nôtre, celle de France, "fille des laboureurs, mère des chevaliers et des prêtres" selon le mot d'Henri Pourrat. 2500 000 hectares promises au chiendent, à la broussaille et au désert pour maintenir à flot la plus énorme escroquerie économique du siècle : la politique agricole commune. On aurait pu penser qu'une telle décision, qui heurte les traditions les plus profondément enracinées dans la mentalité paysanne, soulèverait l'indignation des agriculteurs français, que la "corporation" agricole se serait mobilisée contre cette idée folle. Il n'en a rien été. Ce "gel" des terres, cet acte contre nature et d'une stupidité sans nom, n'a pas poussé un seul tracteur sur les autoroutes, n'a pas laissé un gramme de purin devant les grilles de quelques préfectures. Le monde agricole s'est terré. Ce grand silence a bien sûr une explication à la fois simple et terrible : le monde moderne a tué le paysan, au cours d'une tragédie que Jean-Clair Davesnes nous a récemment raconté. Il ne lui restait plus qu'à tuer la terre. Il s'y emploie. J'ai voulu relire L'homme à la bêche pour me remémorer les grands traits de cette histoire du paysan, celle d'une lutte acharnée, parfois sanglante et désespérée pour dominer cette terre selon l'injonction divine, pour la rendre fertile et plus nourricière. "Tant que la terre durera, est-il promis dans la Genèse, les semailles et les moissons, le froid et le chaud, l'été et l'hiver, le jour et la nuit ne cesseront point de s'entresuivre".