Editorial (extrait) par Jean-Baptiste Geffroy : La lecture des deux très beaux livres qui viennent d'être consacrés au souvenir du colonel de Blignières m'a laissé rêveur. Ainsi donc, malgré les ravages d'une décadence déjà avancée, malgré tant de signes d'affaissement, ce vieux pays de soldats et de paysans avait été encore fertile et cette Armée si malade, minée par le doute et la médiocrité, humiliée par la défaite, avait pu lever cette phalange de jeunes chefs, de centurions modèles dont les noms retentissent encore chargés d'histoire : Argoud, Godard, Gardes, Lacheroy, La Chapelle, Chateau-Jobert, Denoix de Saint-Marc et Blignières. Blignières, une sorte de capitaine de Boëldieu, plus vrai que l'original créé par Pierre Fresnay, colonel de la Légion, soldat catholique, père de sept enfants dont deux prêtres, en bref, la quintessence de tout ce que haïssent les ayatollahs du grand melting pot, les nervis du pacifisme cristo-communiste et les grands prêtres de la religion jushumaniste dont Hervé de Blignières apparaît comme une manière d'hérétique, restant le vivant reproche de cette France moderne, laïquarde, matérialiste, hédoniste, socialiste et avorteuse. Il n'est d'ailleurs pas sûr que la France de 1940 le méritât, elle qui, après s'être vautrée pendant vingt ans dans les délices du désarmement et de la sécurité collective, envoyait en juin 1940 ses cavaliers arrêter - à cheval bien sûr - les blindés de Rommel dans d'inutiles et sanglantes boucheries. Quant à la France de 1960, celle qui, au nom de la prospérité, du SMIG, du confort télévisuel et automobile, avait abdiqué sa royauté coloniale entre les mains d'un César mégalomaneet sanguinaire, elle le méritait encore moins. Blignières s'est d'ailleurs autorisé à lui rappeler, fût-ce par la désobéissance, qu'un officier français, non seulement ne trahit pas sa parole, mais se trouve aussi parfois en charge du respect des engagements que le pouvoir civil se décide à violer. Le lieutenant de 1940 avait accepté sans ciller de charger sur son demi-sang anglo-arabe les chars de la 7ème Panzer. Le colonel de 1960 a refusé d'endosser la livrée élyséenne en ratifiant le parjure de la nation. Quoiqu'il en soit, le colonel de Blignières sera resté ce modèle d'énergie qui distingue les grandes carrières.