Editorial (extrait) par Jean-Baptiste Geffroy La République molle. Un bien curieux régime que celui de la Cinquième République qui semble échapper, on ne sait trop par quelles vertus, aux conséquences généralement dommageables (et quelquefois fatales) des scandales financiers et politiques. La Troisième a été fertile en magouilles et escroqueries en tous genres, et ses hommes politiques n'étaient pas plus honnêtes qu'aujourd'hui. Mais au moins, le régime, fût-ce au travers de l'électorat, parvenait à accomplir les fonctions naturelles les plus essentielles en dégurgitant les éléments les plus impurs et les plus indigestes du système. Les Clémenceau, les Rouvier, Caillaux et bien d'autres ont connu des purgatoires de plusieurs années avant de refaire surface (quand ils y parvenaient) et de faire oublier les retentissantes affaires dans lesquelles ils avaient été compromis. Bien plus, la survenance d'un scandale n'était pas sans risque pour la stabilité même du régime et la Troisième République a bien failli sauter à plusieurs reprises avec les accès de fièvre de Panama ou de l'affaire Stavisky. En somme, il existait au sein du monde politique une sorte de convention tacitement reconnue, qui impliquait la démission des ministres indélicats, des politiciens véreux et des cabinets ministériels compromis. La Cinquième République apparaît sur ce plan très nettement en retrait par rapport à ses précédentes, tant elle affiche avec une belle constance une insensibilité quasi totale aux séismes politico-financiers qui, pourtant, depuis trente ans, ne lui ont pas manqué : l'affaire Ben Barka, la Garantie Foncière, les abbatoirs de La Villette, l'affaire Marcovic, la mort de Robert Boulin, l'assassinat de Jean de Broglie, les avions renifleurs, l'affaire du Rainbow Warrior, celle du Carrefour du Développement et la dernière gâterie socialiste concernant l'affaire Pêchiney et celle de la Société générale. En trente ans de scandales, on n'a pas vu souvent un ministre démissionner ou un gouvernement sauter sous le choc de ce genre de bavures ou sous la pression de l'opinion publique. Le politicien d'aujourd'hui est au pouvoir et il y reste ; il s'y accroche, balbutie quelques protestations d'innocence et, toute honte bue, laisse passer l'orage.