Editorial Le neutralisme culturel : La nouvelle culture est arrivée. Elle est "look", "cool", "sympa","branchée", télévisuelle et coluchienne. Elle se montre fraternelle, ouverte, tolérante, unanimiste, internationale et interraciale. Elle se glisse partout, dans les écoles, dans les universités; elle envahit les spectacles, la littérature, et la musique. Elle campe dans les allées du pouvoir et trône dans les églises. Antonio Gramsci, un des plus brillants disciples de Lénine, avait déjà mis en valeur l'importance dufait culturel dans la stratégie révolutionnaire. Les sociétés modernes ont en effet, perdu depuis longtemps le moteur traditionnel de la révolution : le prolétariat industriel. fileur en fallait un nouveau, ce sera le prolétariat culturel. La culture soixante-huitarde s'était affichée comme l'antithèse de la culture bourgeoise. La nouvelle culture se présente comme la synthèse de cet affrontement, un lieu de consensus et de rencontre aux formidables capacités neutralisantes. Les soixante dernières années ont été celles des affrontements idéologiques. Les prochaines seront celles de leur lente dilution dans ce qu'on pourrait appeler le neutralisme culturel. La nouvelle culture s'avance bardée de mots-clé: droits de l'homme, solidarité, tolérance, discrimination, autant de thèmes magiques véhiculés par une mythologie du rabotage et du nivellement. Tel manuel d'instruction civique à usage des classes de 5e et au titre évocateur de "Terre commune", ne consacre pas moins de 48 pages sur 125 à l'infusion méthodique de cette substance proprement "stupéfiante", maniant avec une virtuosité consommée tous les registres du nouveau catéchisme : racisme, xénophobie, apartheid, croyance, athéisme, tolérance, migration, immigration, échange culturel, peur de l'Autre, Tiers-Monde, Quart-Monde, etc. L'épigraphe, confiée à M. Taïeb proclame : "Nous sommes tous des immigrés". Le témoignage moral est confié à la plume, ô combien élégante de Cavanna. La caution poétique est celle du chanteur Renaud. Et tout est dit. On a sous les yeux la vision "clip" du monde que les phantasmes de la nouvelle culture échafaudent pour les générations de demain.(extrait de l'editorial par J.-B. Geffroy