ÉDITORIAL : Henri Ghéon est un des écrivains français du XXe siècle parmi les plus féconds, mais reste, toutefois, bien méconnu ; nous pouvons même dire qu'il est banni, persécuté ou proscrit, exclu de la « bonne République des Lettres », pour un motif très simple : converti au catholicisme, en 1915, il est devenu un défenseur inflexible de l'Église, ce qu'il n'a cessé depuis d'exprimer dans une œuvre très importante qui compte une centaine de titres (principalement des pièces de théâtre et quelques biographies) écrits en une trentaine d'années (il est mort en 1944, à l'âge de 69 ans). Et, quoi qu'en disent les « bonnes âmes » ou les « bonnes consciences », les censeurs de la pensée conforme à leur « ligne éditoriale » veillent à la porte du cénacle pour n'y laisser entrer que ceux qui bénéficient de leur agrément. Soyons objectifs, cela est bien le sort imposé à un grand nombre d'écrivains contemporains soupçonnés de défendre des opinions « déviantes », ceux dont les noms et les œuvres ne figurent que dans les catalogues des maisons dites réactionnaires (l'exemple le plus récent et le plus marquant est bien la façon dont Charles Maurras a été honteusement banni, l'année dernière, de la liste des « commémorations officielles » instituées et surveillées par le ministère de la Culture !). Henri Ghéon était d'une autre trempe que ces moutons bêlants qui suivent le troupeau grégaire et nous sommes très satisfaits de publier dans ce numéro le bel article de Sébastien Colinet qui présente son portrait, ses écrits, ses convictions et confirme quelle était la rectitude de cet écrivain de grande et belle race. Il l'était à tel point que Jean Mabire, qui n'a jamais dissimulé son peu d'attirance pour le catholicisme, a tenu à lui dresser le magnifique éloge suivant : « Ses pièces s'inscrivent dans la ligne des grands mystères et miracles d'un christianisme conquérant. Totalement fidèle à ce qui lui apparaissait comme la seule tradition spirituelle, son œuvre considérable, n'appartient pas à la mode fugitive, mais doit se déchiffrer dans la lumière de l'éternité [...] Mais il ne faut pas, pour autant, enfermer Ghéon dans quelque médiocrité bien-pensante, qui en ferait le suppôt de la mièvre bigoterie sulpicienne. Il se révèle au contraire truculent, fantaisiste, farceur dans le sens médiéval, humoriste à l'occasion [...] Il est mort après avoir ouvert une route qu'allaient vite fermer les broussailles de l'oubli. On mesurera un jour que c'était une voie royale » . Aujourd'hui, en compagnie de S. Colinet, nous sommes fiers de contribuer à défricher les broussailles de la route encombrée d'escarbilles et de mauvaise herbes adventices, afin d'ouvrir pour Henri Ghéon cette voie royale qu'il mérite tant ! Jérôme SEGUIN