Fouillée et riche d’informations
4/5 Nouvelle Revue d’Histoire .
.----. Célébré jadis par les bonnes familles, les jeunes idéalistes et les dames qu’il fustigeait dans ses romans, Montherlant est entré au purgatoire. Pour combien de temps ?
Dans une biographie fouillée et riche d’informations inédites, Montherlant une vie en double, Philippe Alméras, historien passionné de littérature, affine le portrait de l’artiste pour sauver celui-ci de l’enfer où les bien-pensants voudraient l’enfermer.
Montherlant, grand malgré tout : tel est le leitmotiv de ce nouveau livre de Philippe Alméras, biographe connu pour avoir plutôt la dent dure. Spécialiste de Céline, auquel il a consacré en 1993 un remarquable essai, Céline. Entre haines et passions, l’universitaire a reconstitué la vie de Montherlant, sous ses aspects les plus intimes et les plus biscornus – sans oublier une dilection occasionnelle pour les femmes – pour dresser le portrait d’un homme taraudé par un esprit de contradiction permanent qui confine parfois au dédoublement de personnalité. Un personnage déchiré entre goût de la fierté la plus altière, dont son style puissant est l’expression, et un cynisme qui frise l’imposture. Il n’en reste pas moins vrai que Montherlant a laissé une œuvre littéraire de premier ordre. Théâtre, romans, essais, carnets : rien n’est jamais médiocre chez Montherlant, sinon les enflures de la vanité ou certains comportements intimes.
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NRH : Quelles sont les œuvres de Montherlant que vous préférez?
PA : Ses romans plus que son théâtre, vous le devinez. Cela dit, La ville dont le prince est un enfant est une réussite quasi absolue de justesse et de discrétion. Parmi les romans, je tends à préférer ceux de la maturité (La Rose de sable) et surtout ceux de la fin, Le Chaos et la Nuit et Un assassin est mon maître qui sont des exemples de narration à la fois désinvolte et précise. Les Garçons me paraît plus apprêté, mais il faut revenir aux Célibataires, où Montherlant parle des siens et utilise leur langue aristopopulo. La liberté surveillée que s’accorde Montherlant aboutit à de grandes réussites.
Les romans de jeunesse, La Relève du matin, Le Songe, Les Bestiaires sont à prendre au second degré (mais alors l’auteur s’y livre comme jamais). Ce qui est tombé de soi-même est l’artificiel, le mythe espagnol ou nobiliaire. M. Millon, issu de laboureurs picards et coureur de rues, a plus de verve que M. de Montherlant qui s’offre le ridicule, dans Service inutile, de comparer le dépouillement des armes de la tombe Montherlant à Montherlant au style nouveau riche du voisin de Versailles où son grand-oncle était garde de la Porte. Est désuète presque toute la politique de celui qui se réclame de Barrès puis l’abandonne et prône le retrait de l’histoire, avant de prêcher la guerre en 1939 et la déchristianisation de la France en 1940 sous l’étendard des vainqueurs. Tout compte fait et l’œuvre passée au crible du temps on peut affirmer qu’Henry Millon de Montherlant est un très grand écrivain d’instinct et de la bonne tradition orale. Très peu de lycée et pas du tout de Sorbonne, c’est sans doute le dernier de son genre avant les couvées d’agrégés.
[ Propos recueillis par : Jean-Michel Baldassari dans " Nouvelle Revue d’Histoire (NRH), n° 47, mars-avril 2010 ]