Au retour de la Grande Guerre, le sous-officier d'infanterie Pierre Drieu la Rochelle s'interroge sur la victoire des Alliés, dans laquelle il ne voit qu'un trompe-l'oeil. Jeune auteur de 27 ans, issu d'une famille nationaliste et conservatrice d'origine normande, il s'émeut des faiblesses de la France, posant ainsi les limites du nationalisme intégral, cher aux partisans de Charles Maurras. Démontrant l'incapacité française à se régénérer humainement, il s'interroge, au-delà du fait national, sur le devenir de la puissance des nations.
Dans la première partie de Mesure de la France, il consacre de larges développements à la dénatalité qui frappe son pays, véritable suicide (un "crime", dénonce-t-il). S'il a fallu la moitié de la planète pour vaincre l'Allemagne, qu'aurait pu la France seule ?
Dans la seconde partie de l'essai, le déclin démographique français l'amène à s'interroger sur la puissance des nations, fondée sur la seule notion de Production, stade final du besoin économique. Il cherche les responsabilités des acteurs institutionnels, politiques et religieux de l'époque. Pour sauver la France, il en appelle à de véritables "Alliances", fruits d'unions nationales, consenties sur un pied d'égalité en temps de paix, et non issues de guerres mortifères pour le continent européen.
Cet essai annonce les prochaines oeuvres de Drieu, Le Jeune Européen et Genève ou Moscou, dans lesquelles il fera clairement le choix d'une "autre voie", celle de l'Europe.
Mesure de la France, tout en proposant des pistes de réflexion, n'en délivre pas moins un message pessimiste : l'Europe n'a pas vécu la "der des der", comme certains, les plus nombreux, aimeraient à le croire, mais la "Première Guerre". La suite de l'Histoire, avec la Seconde Guerre mondiale, lui donnera raison.
Pierre Drieu la Rochelle (1893-1945)
Cet écrivain engagé, obsédé par la décadence, laisse une oeuvre abondante (vingt-huit ouvrages : d'Interrogation, en 1917, aux Chiens de paille, en 1944). Héros de la Grande Guerre (trois fois blessé), ami des surréalistes, germanophile et anglomane, rêvant d'une nouvelle Europe, "socialiste-fasciste", dès 1934, éditorialiste du PPF de Doriot, en 1936, partisan de la collaboration avec l'Allemagne, il dirige la Nouvelle Revue française sous l'Occupation et se suicide le 15 mars 1945. Son ami André Malraux sera son exécuteur testamentaire.
Franck Buleux, préfacier :
Chargé de cours dans l'enseignement supérieur, diplomé en histoire, sciences politiques, droit et criminologie. Normand comme Drieu la Rochelle, il a publié en 2015 un essai sur L'Unité normande (L'Harmattan) pour lequel il a obtenu le prix André-Maurois 2016 décerné par la Société des écrivains normands.