Postface : Les Mémoires du général Pierre Wrangel (1878-1928), parues en français en 1930 et rééditées pour la première fois ici, sont d'une importance primordiale pour la compréhension de la Révolution de 1917 et de la guerre civile en Russie.
Capitaine d'un escadron de cavalerie au début de la Grande Guerre, parmi les premiers officiers décorés de la croix de Saint Georges, monté en grade au fur et à mesure de son aptitude dans les combats - colonel fin 1914, puis général, commandant régiments, brigade et division cosaques - Pierre Wrangel rejoindrait, après la Révolution d'octobre 1917, les armées blanches du sud de la Russie aux ordres du général Denikine, et contribuerait rapidement à leurs premiers succès des années 1918-1919. Après finalement les revers et la débâcle des armées blanches, et la démission de Denikine, le général Wrangel accepterait la mission de remplacer celui-ci au printemps 1920, et deviendrait l'ultime chef militaire et politique, et régent du gouvernement russe antibolchevique.
Si sa cause paraîtrait d'emblée quasi désespérée, le général Wrangel devait ainsi lutter encore, une grande partie de l'année 1920, depuis la Crimée, à la tête de ses armées, et de son gouvernement. Il réussirait à rétablir l'ordre, à administrer les territoires sous son contrôle, à assurer l'accueil et la protection des réfugiés ; et bien surtout, il lancerait des contre-offensives victorieuses face aux troupes rouges, dans le sud de la Russie - cela alors même que se déroulait le conflit soviéto-polonais, et l'offensive bolchevique sur Varsovie. Au milieu des combats incessants, des obstacles de toutes sortes, le général Wrangel mènerait aussi une intense activité diplomatique et politique : cherchant soutiens et alliances, il verrait son gouvernement reconnu par la France, et proposerait d'organiser avec la Pologne un front commun antibolchevique, sous commandement français. Dans son projet pour la Russie, Wrangel s'orienterait vers une politique libérale, acceptant les revendications régionalistes, décrétant l'octroi de la terre aux paysans, et l'autodétermination du peuple. Cependant, après l'arrêt des combats entre la Pologne et les armées rouges, ces dernières retournant toutes leurs forces contre lui, le général Wrangel se résoudrait à l'accomplissement d'un plan d'évacuation d'envergure : en quelques jours, près de 150 000 personnes, militaires et civils, quitteraient alors la Crimée dans l'ordre, à bord d'une flotte russe et internationale de 126 navires. Ces exilés, avec Wrangel à leur tête, allaient constituer une part importante et organisée de l'émigration russe blanche.
C'est ici le récit de ces événements, de la Révolution jusqu'à l'évacuation de la Crimée, par un implacable chef de guerre, à la fois combattant et stratège, meneur d'hommes doublé d'un fin politique, sans doute arrivé trop tard à la tête du mouvement contre-révolutionnaire russe. C'est aussi l'analyse des enjeux - et parfois des doubles-jeux - internationaux, autour de la guerre civile en Russie. C'est encore une critique parfois sévère du camp russe blanc lui-même, tout en justifiant sa lutte. C'est enfin un exemple d'engagement pour une cause transcendante : la défense de sa foi, de la patrie ; et cela, jusqu'au sacrifice personnel.