Encore un ouvrage sur Louis XIV, va-t-on dire... Exact, mais celui-ci se distingue de tous les autres ! Il fut en effet le premier à tirer le grand roi de l'oubli où avaient voulu le reléguer depuis deux cents ans les historiens officiels français, gardiens de l'orthodoxie jacobine, en répandant sur lui et son oeuvre une "légende noire".
C'est à ce déjà "historiquement correct" que va s'attaquer, non sans courage, Louis Bertrand en 1923, dans un ouvrage au succès retentissant (avec cent onze rééditions, il figura encore dans Le Livre de poche historique jusque dans les années 1960).
Il le fit avec une surprenante originalité, en étudiant la personnalité du roi, ses traits de caractère, afin d'en tracer un portrait permettant d'éclairer et de comprendre son oeuvre comme sa vie, dont il expose les traits les plus marquants.
Le premier, en effet, Bertrand décrit Louis XIV de manière complète, "de l'intérieur", comme l'a si bien vu François Bluche. Cette technique, il l'avait mise en oeuvre dès 1913 dans son remarquable Saint Augustin, puis en 1927 dans Sainte Thérèse d'Avila, ce qui en assura le succès considérable.
La profondeur de l'analyse psychologique jointe à l'élégance et à la limpidité du style contribuèrent à son éclatante réussite. Ses successeurs lui doivent beaucoup : il avait ouvert la voie.
Le succès grandissant des études contemporaines consacrées à Louis XIV prouve la justesse prémonitoire de la démarche de Louis Bertrand. Il explique aussi le nouveau regard que lui portent avec une certaine fierté (et un peu de nostalgie, peut-être) les Français d'aujourd'hui. Louis Bertrand y est pour beaucoup. Comment ne pas lui en être reconnaissant ?
Louis Bertrand (1866-1941), écrivain original et puissant, Lorrain d'origine, Normalien des plus brillants, succédera à Maurice Barrès sous la Coupole en 1925. Découvrant l'Algérie comme jeune professeur en 1891, il en fait l'une de ses principales sources d'inspiration (Le Sang des races, 1891 ; Pépète le bien-aimé, 1904), devenant le père de l'"algérianisme" (qui, plus tard, inspirera Albert Camus). Face à l'islam, il revient vers le christianisme, d'où son Saint Augustin (1913), Sanguis martyrum (1918) le roman des premiers martyrs chrétiens de l'Afrique du Nord romaine, puis Sainte Thérèse d'Avila (1927), ces trois ouvrages tout récemment réédités par Via Romana.
Son éclatant Louis XIV (1923) réhabilite le grand roi et ouvre la voie à de nombreux successeurs. Avec Mademoiselle de Jessincourt (1911), grand roman de moeurs, il peut rivaliser avec Gustave Flaubert dont il se veut le disciple fidèle.
Louis Bertrand est un grand écrivain français, un peu oublié, mais qu'on redécouvre avec un rare plaisir.