C’est peu dire que Louis XI (1423-1483) a traîné à ses basques une légende noire particulièrement tenace, popularisée par les romantiques : le roi fourbe, hypocrite et superstitieux campé par Walter Scot dans son Quentin Durward (1823), le roi sadique visitant le cardinal de La Ballue encagé au château de Loches. L’historien américain Paul Murray Kendall avait déjà fait litière de tout cela avec son célèbre Louis XI (1971), qui connut un succès mérité. Le médiéviste Jean Favier (1932-2014), bien connu pour son Philippe Le Bel (1978) et sa Guerre de Cent Ans (1980), publia son propre Louis XI, en 2001, aujourd’hui à nouveau disponible en poche. Favier, tout à la fois, prolonge et complète très utilement son devancier Kendall. Favier est un spécialiste de l’histoire des finances au Moyen Âge et le mieux à même d’éclairer, sous cette lumière, l’œuvre de redressement entamée par Charles VII et amplifiée par son fils. Après avoir levé l’étendard de la rébellion contre son père, le dauphin devenu Louis XI se révèle le continuateur acharné de sa politique de rétablissement de la Couronne (armée, justice, finances). Toutefois, Louis XI diffère de son père dans le choix des moyens. On l’a dit excessivement secret et dissimulateur. Contrairement à ses prédécesseurs, il ne s’entoure pas de clercs et se défie des grands, des courtisans et des favorites. Une petite équipe d’exécutants lui suffit. L’«?universelle araigne?» gouverne sans Premier ministre et veut concentrer et tirer tous les fils du pouvoir. Lent à se décider, mais ayant toujours plusieurs coups d’avance, sa volonté est inflexible. Économe du sang de ses sujets, sa prudence devient cautèle, et peu lui chaut d’être alors regardé comme déloyal, lorsqu’il croise le fer avec un Charles le Téméraire, fanfaron d’honneur et perclus de vices. Il abat les principautés et sa justice frappe sans souci des privilèges. La Bourgogne, la Picardie, la Provence, l’Anjou et le Maine, mais aussi le Roussillon sont réunis au royaume ou au domaine royal. Sa politique tient en ces quelques mots tirés de la plume de Commynes : «?la préservation de l’État et la défense du royaume?». Une lecture pour commémorer dignement les 600 ans de la naissance de ce très grand roi et en tirer leçon pour notre temps.Vincent Chabrol, dans Lectures Françaises n° 794 (juin 2023)