Le problème central d'une philosophie de la nature n'est autre que de découvrir l'origine de la causalité omnipotente, indispensable pour expliquer tout ce qui est et tout ce qui advient : l'être et le devenir. Celle-ci est-elle immanente à la nature, donc cosmique, ou bien faudrait-il la rapporter à la Cause Première aristotélicienne, reconnue comme divine par le spiritualiste ? Etant donné qu'à chaque causalité correspond le modèle d'univers qu'elle détermine, ce qu'il faut comparer ce sont donc les deux modèles relatifs aux hypothèses causales en question.
Nul matérialiste n'a jamais songé à demander aux forces naturelles de la causalité cosmique de produire autre chose que des effets concrets et des entités matérielles. Extravagante eût été l'idée de doter ces forces de la capacité de créer des êtres, doués eux-même d'un pouvoir propre. La causalité du matérialiste n'ambitionne pas d'être créatrice; elle n'agit que dans l'ordre du mouvement. Son action sur les choses est seulement motrice.
La Causalité divine en revanche n'opère que par le truchement de causalités déléguées en communiquant aux êtres qu'elle crée le pouvoir d'être cause, comme on le voit chez ces fondés de pouvoir que sont les êtres vivants.
Ainsi se précisent, en s'opposant, deux modèles d'univers. Dans le Cosmos du matérialiste, où se trouvent confondus les objets et les êtres on ira jusqu'à mettre en doute l'existence individuelle du vivant, au point que J. Monod le définira comme "un objet doué d'un projet" en contraste avec "l'être doué d'un pouvoir autonome" du modèle spiritualiste. Contrairement au Cosmos incréé, la Création, elle, n'est pas une entité informe mûe par des potentialités immanentes. Dieu n'a pas créé "de l'être" purement et simplement. Ce sont des êtres, un à un, qu'il a créés, en communiquant à chacun un "psychisme", manifestation causale de son pouvoir autonome dont les degrés successifs s'étagent depuis la germination d'une semence, le pouvoir d'agir du protozoaire, puis le pouvoir de décider de l'animal, jusqu'au pouvoir de choisir, réservé à l'homme, appelé à assumer consciemment la responsabilité morale de ses choix.
Entre le Pouvoir divin et les pouvoirs qu'il délègue, il existe un lien nécessaire. C'est pourquoi la logique du matérialiste athée veut qu'en abolissant le Dieu-Créateur ce sont aussi ses créatures - du protozoaire à l'homme - que du même coup il abolit.