Il ne supportait pas qu'on offensât la Mère Patrie.
5/5 L'Algérianiste .
.----. C'est l'histoire d'un bambin éveillé que l'âge de raison transforme en sale gosse insupportable avant que la mue de l'adolescence ne l'engonce dans la peau d'une tête de lard particulièrement rebelle. Faut-il encore préciser qu'il est pied-noir mais tôt scolarisé en métropole, ce qui n'arrange rien. Bref, l'avenir du jeune Masselot s'annonce pour le moins difficile. Heureusement Dame Légion, patronne des causes perdues au même titre que sa consœur Rita de Cascia, va l'accueillir pour en faire un officier aussi vaillant que bouillant. Vaillant, au point de barouder inlassablement à travers le monde, de subir trois blessures au feu, d'être l'objet de 15 citations (dont 10 à l'ordre de l'armée) avant d'être élevé au grade de commandeur de la Légion d'honneur.
Bouillant, car en bon légionnaire, il ne saurait transiger avec l'honneur et la fidélité. À ce titre il n'hésite pas à « moucher » quelques officiers supérieurs, trop pusillanimes à ses yeux. Ainsi traite-t-il l'un d'eux de « cornichon à croix de Lorraine ». Il affectionne l'usage de sobriquets pour le moins acidulés. Ainsi, par exemple, évoque-t-il le très gaulliste amiral Thierry d'Argenlieu, sous les appellations non contrôlées de « Tient lieu d'argenterie » ou de « Carme naval ». Aurait-il déjà quelque prévention contre l'homme du 18 juin ? Rien ne résiste à son ironie mordante. On découvre grâce à lui l'existence de curieux régiments, ces « unités de porcelaine » qui craignent le feu mais supportent la décoration. Cette addiction à « se payer » ses supérieurs lui vaut d'établir un curieux record de longévité dans le grade de capitaine : dix ans, six mois et trois jours. C'est ce qui permet à l'un de ses chefs de corps d'affirmer : « Quant à sa promotion au grade supérieur, je sais que Masselot s'en moque. Il resterait bien capitaine à vie pourvu qu'on lui donne des missions et des commandements intéressants... »
Pareille caboche ne peut que se révolter lorsque sont mis en cause l'honneur et la fidélité à la parole donnée. Banni de la Légion, il participe néanmoins au putsch d'avril 1962, à la tête du 18e RCP composé en majorité d'appelés. C'est à ce titre que, associé au lieutenant-colonel Lecomte patron du 14e RCP, il est condamné le 28 juin suivant, à huit années de détention criminelle à l'issue d'un PVG (procès à grande vitesse) qui n'aura duré que 4 heures et 50 minutes.
Vous souhaitez tout connaître de ce Bougiote qui avait la bougeotte. De Sarrebourg à Homs, de Baalbek à Saint-Louis du Sénégal, de Fès à Stuttgart, de Hoa-Binh à Tébessa, du cachot des punis du collège de la Seyne à une cellule de la prison de Tulle, vous suivrez, à la lumière de la lampe Saucourt, la trace de cet officier irascible qui ne supportait pas qu'on offensât la Mère Patrie. [ Signé : J.-P. B. dans " L'Algérianiste ", n° 165, mars 2019 ]