Le 10 avril 1948, Charles Maurras évoquait devant son compagnon de prison, Xavier Vallat, un mot du Maréchal. Philippe Pétain avait exprimé le désir de rencontrer son collègue de l'Académie, et Maurras était venu à la Préfecture du Rhône. Ils conversèrent en tête-à-tête et soudain le Maréchal lui posa cette question : "Est-ce que, vous, vous avez des amis ?" en accentuant le vous. Maurras, un peu surpris, répondit : "Monsieur le Maréchal, c'est ma seule fortune. Mais de ce côté-là, j'ai été comblé par la vie." On se tromperait fort en pensant que sa conception que Maurras se faisait de l'amitié était partisane. Ainsi, il resta en relations cordiales avec Georges Goyau que Daudet brocardait avec une férocité joyeuse. Georges Goyau se plaignait doucement : "Mais enfin, pourquoi Daudet s'acharne-t-il ainsi sur moi ?" Maurras s'excusait : "Que voulez-vous ? J'ai chez moi un lion. Je ne peux pas le nourrir de haricots verts... Alors, de temps en temps, il dévore un homme !" "Je comprends, gémissait le doux Goyau, mais pourquoi moi ?" Le destin voulut que les dernières années de prison de Maurras fussent éclairées par le voisinage de celui que Maurras appelera dans ses lettres "bel ami et gai compagnon". Xavier Vallat n'avait Jamais abdiqué son franc-parler envers l'homme qu'il admirait le plus au monde. Cette lndépendance d'esprit enchantait Maurras. Un égal amour de la patrie, un même attachement à la langue provençale né pouvaient que tisser entre eux, malgré la différence d'âge, des liens que l'épreuve rendit plus étroits. Ceux qui ont lu Charles Maurras, numéro d'écrou 8.321, où Xavier Vallat a déroulé-la trame moirée de leurs entretiens quotidiens à Clairvaux, savent déjà combien cette amitié leur fut précieuse. Après la libération conditionnelle de Xavier Vallat, au lendemain de la Noël 1949, et jusqu'à la mort de Maurras, le 16 novembre 1952, cette amitié trouva son exutoire dans une correspondance clandestine où les deux amis purent continuer à s'épancher librement : ce sont les lettres "passe-murailles".