Faut-il être vertueux pour faire de la politique ?
5/5 L'homme nouveau .
.----. Faut-il être vertueux pour faire de la politique ?
Dans le cadre de sa mission de formation du laïcat chrétien, Ichtus publie un petit essai sur l’importance des vertus en politique. Les auteurs du Collectif Jean Ousset, à l’origine de cette publication, entendent traiter des qualités humaines des gouvernants ou, plus largement, de ceux qui sont engagés en politique. Il ne s’agit donc pas de nier aux institutions, dès lors qu’elles sont bonnes, une influence bénéfique, mais d’insister sur les qualités morales des gouvernants et sur les vertus plus proprement politiques que requiert l’exercice du gouvernement.
Très classiquement, l’ouvrage se divise en deux parties. Dans la première, les auteurs s’emploient à montrer la nécessité des vertus en politique, en tentant une sorte d’état des lieux, oscillant entre les tentations propres à notre époque (le poids de la technique, le culte de l’instantanéité et de l’éphémère, etc.) et les invitations du magistère récent (principalement depuis le concile Vatican II jusqu’au pape François) à une action politique des laïcs. Dans la seconde partie, le lecteur entre dans le vif du sujet, avec une présentation de chacune des vertus politiques et de leur nécessaire connexion.
Au cœur du sujet
Cette seconde partie fait largement appel aux grands auteurs depuis l’Antiquité païenne et chrétienne, jusqu’à la philosophie classique ainsi qu’au Magistère de l’Église. C’est de loin la partie la plus intéressante, la mieux construite et la plus percutante de ce petit volume de formation. N’aurait-il pas d’ailleurs fallu s’en contenter puisqu’elle a le mérite d’être au cœur de la problématique posée par les auteurs dans l’introduction générale à leur ouvrage ? Bien que ne se voulant pas « un petit traité sur les vertus », le but clairement affiché est bien « de rouvrir un horizon de réflexion sur le politique totalement oublié depuis trop longtemps ». Dès lors, n’y a-t-il pas le risque que le lecteur s’impatiente trop en découvrant la première partie qui tarde, malgré des considérations intéressantes, à entrer dans le vif du sujet.
Au chapitre des précisions qui auraient été bienvenues, une définition plus claire de ce que les auteurs entendent par entrer en politique ou faire de la politique permettrait certainement de saisir mieux l’adéquation de l’homme vertueux avec la fin de la politique, à savoir le bien commun. Mais dans ce cas, il est vrai qu’il aurait fallu aborder la question complexe du système démocratique moderne, de l’aliénation qu’il entraîne et plus largement évoquer également des épisodes historiques déterminants comme le fut, par exemple, le Ralliement, lequel a conduit finalement à une paralysie politique des forces catholiques et à leur repliement dans le domaine de la morale ou de la charité sociale. Les auteurs auraient eu alors à creuser les effets de la crise de l’Église sur l’engagement politique des chrétiens.
Quid de « l’opération en trois temps » ?
Au titre des étonnements, on remarquera aussi qu’il n’est nullement fait allusion à la réflexion de Jean Ousset sur le lien « institutions-individus ». Rappelons juste en passant que celui-ci avait notamment bâti son œuvre sur l’« opération en trois temps » :
« 1. Travailler d’abord à l’intense formation, à la rigoureuse préparation d’un certain nombre d’hommes rayonnants suffisamment répandus dans le corps social ; 2. C’est ce petit nombre, cette “minorité agissante” qui, se servant des institutions comme d’un levier, peut travailler à l’instauration du système social convenable (compte tenu des circonstances de temps et de lieux) ; 3. Système social qui permet alors cette influence générale, cette action durable sur l’ensemble des hommes, que seule la Société (avec un grand S) est capable d’exercer. »1
Acquérir un habitus vertueux
Au terme de ce petit parcours de base dans le monde des vertus, les auteurs soulignent la nécessité de l’unité de vie, celle de la formation puisqu’il faut connaître le bien qu’il faut atteindre et, enfin, celle de l’action, qui permet d’acquérir l’habitus vertueux qui repose sur une disposition constante obtenue par répétition d’actes.
Dans leur ensemble, les chrétiens ont depuis longtemps perdu ce rapport des vertus à la politique, réduisant celle-ci à une pure technicité ou, au contraire, en se réfugiant dans un moralisme humanitariste, sans rapport à la finalité politique. À juste titre, les auteurs en font remonter l’origine à la Renaissance : « Dès le XVIe siècle, on observe que les préceptes moraux et la religion sont parfois relégués au second plan et laissent place à un prétendu pragmatisme politique préconisé par Machiavel dans son traité intitulé Le Prince. » C’est dire s’il est temps de remettre les choses à plat… [ Rédigé par Philippe Maxence le 09 février 2018 pour " L'homme nouveau " ]