un triple échec !
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.----. Historien Daniel De Montplaisir, spécialiste du mouvement légitimiste, analyse dans son dernier essai l’échec de la révolution des Trois Glorieuses…
Il existe des événements qui peuvent, au premier regard, apparaître lointains et un peu oubliés, mais qui rejoignent en réalité des préoccupations très contemporaines. Tel est le cas des « Trois Glorieuses », c’est-à-dire cette révolution qui, en juillet 1830, évinça du trône la monarchie légitime pour le transmettre à la branche (très) cadette des Bourbons en la personne du duc d’Orléans et à laquelle Daniel de Montplaisir consacre un bel ouvrage. Car si la gauche culturelle pense que nous sommes revenus dans les « années 30 », elle ne se trompe que d’un siècle. Le temps présent emprunte en effet beaucoup à ces années 1830, à commencer par l’incommensurable mépris du peuple qu’affiche au nom des idées progressistes la bourgeoisie urbaine (le petit blanc raciste, homophobe et misogyne ayant simplement remplacé, dans la version modernisée de M.Homais, l’ouvrier girovague ou le paysan abruti par la foi catholique).
Charles X, pas la baderne réactionnaire qu’on dit
Il n’est donc pas inutile de se transporter dans les tout premiers moments de la monarchie bourgeoise. L’auteur nous livre d’abord un récit très enlevé des événements, servi par un vrai bonheur de plume. Il nous guide ainsi dans les multiples rebondissements de ces journées tourmentées, entre le 25 juillet, date de la publication des ordonnances fatales à Charles X, et le 9 août qui voit l’installation sur le trône de Louis Philippe. Il nous ouvre les portes de Saint-Cloud, où se délite lentement le pouvoir royal. Il nous montre toutes les erreurs tactiques du général Marmont, chargé de tenir Paris face à l’insurrection et qui finit acculé au Château des Tuileries (Thiers s’en souviendra en 1871 quand il laissera le champ libre à la Commune afin de pouvoir reconquérir méthodiquement la capitale). Il écrit avec précision le jeu du camp orléaniste, cohérent, préparé de longue main et rompu à l’art de la manœuvre. Il pénètre dans les salons du banquier Laffitte, qui lui sert d’état-major, où s’élaborent les choix décisifs et d’où partent les consignes. Il suit le malheureux duc de Mortemart, dernier Premier ministre de la monarchie restaurée, traverser Paris d’Ouest en Est, les pieds en sang dans des bottes trop neuves, pour finalement échouer à faire reconnaître son gouvernement. Il ne cache rien des erreurs, des hasards, des occasions ratées et des gaffes grossières qui, elles-aussi, font l’histoire et qui loin d’une conception finaliste, montrent que tout aurait pu être différent.
Le mouvement se double d’une série de portraits. L’image de Charles X en sort corrigée et même réhabilitée. Le roi n’est pas la baderne réactionnaire qu’a dépeinte l’histoire traditionnelle. L’auteur nous rappelle que son accession au trône a été, en 1824, très bien accueillie par l’opinion publique, que ses premières décisions ont été plutôt libérales, qu’il est longtemps resté populaire, qu’il est, dans l’intimité, un homme aimable, attentif, sensible, et dont le principal défaut réside sans doute dans une bonté qui confine à la naïveté. S’il n’a pas la finesse politique de son frère, il n’est pas pour autant un « roi sans tête » mais plutôt un roi-gentilhomme, pénétré par le sentiment de l’honneur et finalement pas si anachronique à l’époque où, avec Walter Scott, le romantisme découvre les vertus chevaleresques d’un Moyen Âge réinventé. À l’opposé est son cousin « Philippe » comme l’appelle l’auteur dans la bonne tradition légitimiste. Le duc d’Orléans apparaît comme un être calculateur, rusé, d’une prudence maniaque, mais ce qui le caractérise surtout c’est sa duplicité. Assoiffé de princerie et richissime propriétaire foncier (Charles X, dans un moment de faiblesse, lui a rendu son apanage et l’a élevé au prédicat d’altesse royale) il affecte des manières bourgeoises et se promène en redingote dans les rues de Paris. Ce qu’il veut, c’est « être roi », comme le résume Chateaubriand et il est prêt à tout pour le devenir, jusqu’à trahir sans vergogne sa propre famille. L’auteur, avec Tocqueville, ne lui reconnaît qu’une seule qualité : le courage physique, dont il fait preuve dans le pittoresque défilé qui le conduit à l’Hôtel-de-Ville, le 31 juillet 1830. Autour de ces deux figures antagonistes, s’anime toute une galerie : Lafayette est un personnage creux, dont le seul mobile est l’immense vanité (Régis Debray l’avait déjà remarqué) ; Polignac est certes maladroit, mais, familier du parlementarisme britannique, plus libéral qu’on le dit ; le jeune Thiers se distingue déjà par sa terrifiante efficacité.
Résonances fort actuelles
Tout cela suffirait à faire de l’ouvrage de Daniel de Montplaisir une lecture très agréable. Mais l’auteur va plus loin et nous livre une véritable réflexion sur la nature de la monarchie restaurée et du légitimisme, complétant ainsi un champ de recherches renouvelé (on pense en particulier aux analyses d’Emmanuel de Waresquiel, que l’ouvrage, c’est dommage, ne cite pas). Il est un bon connaisseur du sujet, ayant déjà publié une biographie, avec Jean-Paul Clément, de Charles X, puis de son petit fils le Comte de Chambord, enfin une réflexion sur les droits du duc d’Anjou, l’actuel prétendant de la branche aînée. Certes, l’auteur ne cache pas sa sympathie pour la cause, mais il livre un travail de synthèse rigoureux, puisé aux meilleures sources imprimées et notamment à la vaste collection de témoignages qu’ont laissés les principaux acteurs des événements. Trois apports, aux résonances fort actuelles, peuvent ainsi être soulignés.
Un triple échec
Le premier concerne la continuité historique du pays, ou comme on le disait, à l’époque, dans le préambule de la Charte, « la chaîne des temps ». C’était la mission première de la monarchie héréditaire (à cet égard, et Chateaubriand l’avait bien remarqué, la monarchie élective est pire que tous les autres régimes, puisqu’elle pervertit le principe qui la fonde). Le Roi légitime ne meurt pas, il n’est pas propriétaire du pouvoir, il doit respecter les lois fondamentales. Il est le garant de la France éternelle (ce qui ne veut pas dire statique) dont parlait encore le Général de Gaulle en 1944 (et dans quelles circonstances !) et dont la seule évocation voue aujourd’hui son auteur aux pires gémonies. La République peut-elle remplir la même fonction ? Elle est née d’une révolution, c’est-à-dire d’une rupture, mais elle ne s’est installée de façon durable, après 1871, que par la répression -ô combien sanglante !- d’une autre. Les fondateurs de la Troisième République, les Ferry, les Gambetta, les Jules Simon, ont eux-aussi cherché à renouer « la chaîne des temps » ; ils ont trié les bons et les mauvais rois, ont distingué, jusque dans les serviteurs de l’Ancien Régime, des figures héroïques pouvant servir de références à tout un peuple, et ils ont confié cette tâche principale à un homme, Ernest Lavisse, engagé au service du Second Empire, que pourtant ils détestaient. Ils seraient horrifiés par ce qui se passe aujourd’hui.
Le deuxième apport concerne les mécanismes institutionnels et la protection des droits qui leur est intimement liée. Charles X a, le 25 juillet 1830, suspendu la liberté de la presse, a dissous la Chambre des députés et a modifié la loi électorale. Il a utilisé pour cela la procédure des ordonnances, prévue à l’article 14 de la Charte, mais interprétée en l’occurrence de façon très extensive. Daniel de Montplaisir revient longuement sur tous ces éléments sans conclure formellement à leur illégalité et en avançant des justifications de circonstance, ce qui reste discutable et ne peut dissimuler une incontestable erreur politique, d’ailleurs payée comptant. Il n’en reste pas moins que la Restauration a été la première tentative d’établir, sur la durée, un régime d’équilibre des pouvoirs où des libertés publiques étaient respectées de façon satisfaisante, en tout cas de façon bien meilleure que sous tous les régimes qui l’avaient précédée. Les raisons de son échec n’en sont que plus riches d’enseignement. Elles tiennent essentiellement au fait que le régime n’a pas su évoluer vers un véritable parlementarisme, fusse un parlementarisme dualiste qui accorde des pouvoirs importants au chef de l’État. Il ne s’en est d’ailleurs pas fallu de beaucoup et plusieurs fois, y compris sous Charles X avec le gouvernement de Martignac, une telle évolution a été perceptible. Dans cet insuccès, les torts sont, du reste, partagés et ne peuvent pas être totalement mis au débit du roi. Pour autant, ce modèle va irriguer notre histoire institutionnelle jusqu’à une période récente. On le retrouve dans l’esprit des lois constitutionnelles de 1875 et lors de la crise du 16 mai 1877, qui porte largement sur la responsabilité du gouvernement devant le président de la République. Il irrigue en grande partie la constitution de la Ve République, avant que des pratiques politiques contestables et l’adoption du quinquennat ne produisent une concentration pathologique du pouvoir aux effets aujourd’hui délétères.
Le dernier apport concerne la question sociale. Daniel de Montplaisir montre l’appui décisif de la bourgeoisie d’affaires à la révolution de Juillet et il suit avec gourmandise la hausse spectaculaire de la bourse que provoque l’accession au trône de Louis-Philippe. A l’inverse, le peuple de Paris, qui a joué un rôle majeur dans les combats, est rapidement poussé hors de la scène. Ces événements annoncent une tendance générale. Dans les années 1830 et 1840, la France connait un décollage industriel, d’ailleurs favorisé par les pouvoirs publics (on pense à la loi de 1842 sur les chemins de fer). Pour autant, le régime se soucie peu des conditions de vie et de travail des catégories ouvrières ; il réprime dans le sang les révoltes lyonnaises de 1831 et 1834 et attend 1841 pour interdire le travail des enfants. La légitimité aurait-elle fait mieux ? Elle inspire en tout cas nombre de réformateurs sociaux au cours du siècle, de Villermé à Albert de Mun. Quant à Charles X lui-même, victime d’un évident effet de génération, il pouvait difficilement pressentir les transformations sociales nées de l’industrialisation et l’auteur ne peut que regretter qu’il n’ait pas, lors des journées de Juillet, recherché un soutien populaire, par exemple en produisant ce « coup de majesté » qu’aurait été l’établissement du suffrage universel.
En définitive, à lire le bon livre de Daniel de Montplaisir, on comprend combien ces « Trois Glorieuses » consacrent en réalité un triple échec : échec de réconcilier la France avec son passé, échec d’établir des institutions équilibrées, échec d’assurer à chacun sa juste part de la richesse commune.
[ Signé : Joseph François le 25 mai 2022 sur Causeur ]
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