L'horreur des massacres.
5/5 L'homme nouveau .
.----. La parution d’un dossier sur les journées de Septembre 1792, les tueries perpétrées dans les prisons parisiennes, mais aussi à Versailles, Lyon et ailleurs en province, à l’encontre des « suspects », c’est-à-dire toute personne soupçonnée de ne pas embrasser farouchement la nouvelle idéologie républicaine, en particulier le clergé catholique, n’est pas tout à fait fortuite.
Outre la nécessité de rappeler que la Révolution fut d’abord dirigée contre l’Église et ses fidèles, ce dossier fait écho à la publication de deux ouvrages également dignes d’intérêt qui vous permettront, si vous le souhaitez, d’en savoir davantage.
G. (initiale du véritable patronyme de l’historien, Gosselin) Lenotre, arrière-petit-fils du jardinier de Louis XIV et académicien français, aura été l’un des grands historiens de l’histoire de la Révolution. Vilipendé par l’Université, qui l’accusait, à tort, car l’historien travaillait avec un sérieux jamais pris en défaut, de « faire du roman », ce qui signifiait qu’il avait la politesse de ne pas ennuyer ses lecteurs, mais aussi par La Varende, qui lui reprochait de ne pas aller assez loin dans ses dénonciations des forfaits révolutionnaires, pour ménager les puissants, G. Lenotre fit pourtant beaucoup pour révéler au public, mine de rien, la réalité sur les « grands ancêtres ».
En ce sens, ses Massacres de Septembre, tout juste réédités (Tallandier Texto. 285 p. ) sont exemplaires.
Tranchant sur le reste de son œuvre, ce livre n’est pas un récit, mais la présentation, commentée, de témoignages de contemporains sur les événements des 2, 3 et 4 septembre 1792, quand Danton et la Commune de Paris lâchèrent sur les prisons remplies de « suspects » des tueurs improvisés qui, pour 30 louis, acceptèrent de débarrasser la nation de ses « ennemis ».
Ce fut si atroce qu’il reste impossible, de raconter dans le détail, sous peine de donner des cauchemars, ce qui se passa exactement en ces jours de folie où le pire sadisme se débonda. Ce qui demeure indicible aujourd’hui l’était bien davantage voilà quatre-vingts ans et G. Lenotre prit soin, le livre eût sinon fait scandale, d’édulcorer l’horreur. Faut-il le lui reprocher et y voir, non de la pudeur mais une volonté de disculper un peu les bourreaux et surtout leurs donneurs d’ordres ? Non.
Certes, l’on ne trouvera rien, dans les témoignages de Mme et Mlle de Tourzel, du « vieillard » anonyme qui, en 1842, raconta avoir sauvé des vies à la Force, de l’avocat Maton de La Varenne, de Méhée de la Touche, témoin des meurtres perpétrés à l’Abbaye, de Jourgniac de Saint-Méard, incarcéré à la suite d’une dénonciation calomnieuse, susceptible de heurter les âmes sensibles.
Tout est dans le non-dit, jusqu’au dépeçage, à peine suggéré, de Mme de Lamballe sur les marches de la Force et sur lequel, au demeurant, mettre des mots est insoutenable.
Un peu plus explicites sont les souvenirs des prêtres rescapés du massacre des Carmes, une quinzaine, grâce auxquels nous savons assez précisément ce qui se passa et comment moururent les martyrs. Il n’y eut pas, en revanche, de survivants au séminaire Saint-Firmin, de sorte qu’il manquera toujours des pages à ce martyrologe, l’un des plus terribles de la période.
S’il se trouva, sur le moment, des bourreaux pour se vanter de leurs exploits, ou des héros, vrais ou supposés, pour se flatter, la Terreur passée, d’avoir arraché à la mort des « aristos » ou des « calotins », et apporter quelques lumières sur les événements, absolument personne n’a laissé de souvenirs concernant les tueries perpétrées à la Conciergerie, à la Tour Saint-Bernard, qui abritait des détenus de droit commun, et dans les hôpitaux de Bicêtre et de la Salpêtrière où furent ignominieusement massacrés pauvres, malades mentaux, sans-abri, prostituées, vieillards et délinquants juvéniles.
G. Lenotre, qui n’avait pas oublié ces « victimes » moins « touchantes » a réuni dans ses pages à peu près tout ce qu’il était possible d’en dire et l’anonymat qui entoure ces malheureux, pour certains âgés de douze ou treize ans, serre le cœur.
L’incontestable mérite du livre est d’offrir au grand public des documents à peu près introuvables, d’en présenter les auteurs, et de fournir le dossier judiciaire des Septembriseurs, qui, quoique déférés à la justice après Thermidor, nièrent en bloc toute participation aux massacres, réfutèrent témoins et accusateurs et, à de rares exceptions près, échappèrent à la justice des hommes.
L’épisode avait été politiquement voulu pour frapper d’épouvante les esprits. Deux siècles après, l’horreur saisit encore à l’évocation de ces « grandes heures » de la Révolution.
Christophe Langlois (Dieu en automne. Le Cerf. 390 p. ) a choisi une démarche radicalement différente et d’évoquer les martyrs des Carmes à travers la figure romanesque d’un tout jeune prêtre, l’abbé Gabriel Fougère. Inutile d’en chercher le nom sur la liste des victimes puisque le héros du roman a emprunté ses traits à plusieurs de ses prêtres.
De la journée du 2 septembre 1792, et des circonstances de la mort de Gabriel et de ses compagnons, Christophe Langlois a fait le choix délibéré de ne rien dire. Son propos est ailleurs.
Ce qu’il met en scène dans ces pages, d’une puissance parfois saisissante et d’une qualité spirituelle devenue trop rare, c’est d’abord l’opposition entre deux mondes, deux cités, deux visions des destinées de la France et du monde. Petit paysan du Mâconnais saisi enfant par la grâce à travers la beauté du sacré, Gabriel Fougère n’est pas un privilégié de l’ancien régime, simplement une âme de lumière et de foi, animée de la candeur et de l’audace de son extrême jeunesse, pur et innocent, de sorte qu’à travers son périple vers Paris, le prêtre réfractaire désireux de poursuivre son ministère clandestin désarmera bien des haines. Mais, s’il échappera aux fauves des forêts du Morvan, l’abbé Fougère ne pourra pas désarmer la cruauté des hommes.
C’est un livre splendide, magnifiquement écrit, et surtout médité.
Enfin, par curiosité, et pour se souvenir que les tueries de Septembre 1792 ont durablement marqué les esprits à l’étranger aussi, j’évoquerai une bande dessinée, Chats noirs, chiens blancs ; tome 1, Réminiscences parisiennes de Vanna Vinci (Dargaud. 144 p. ), dont l’héroïne, une étudiante italienne venue poursuivre ses études à Paris et qui se met ( elle a de sérieux problèmes psychiatriques ou recourt un peu trop aux psychotropes …) à voir des fantômes, finit par ramener chez elle celui de la malheureuse princesse de Lamballe, née princesse de Carignan-Savoie, qui hante toujours, affolée, la rue du Roi de Sicile où elle périt, incapable de se souvenir des circonstances de sa mort. [ Rédigé par Anne Bernet le 09 janvier 2018 dans Culture pour " L'homme nouveau " ]