L'honneur d'un colonel
5/5 Patrick Besson - Le Point 2313 - 5 janvier 17
Ce que les militaires écrivent bien. Jules César, pour commencer. Sa "Guerre des Gaules". Publiée en 51 avant Jésus-Christ lorsqu'il avait 49 ans. Avait été très occupé avant. Marc Aurèle n'était pas soldat mais il a fait beaucoup de guerres. Il a écrit douze livres, tous parus après sa mort. C'est mieux que d'être édité de son vivant : on ne peut pas lire les mauvaises critiques. Quoique des articles hostiles à Marc Aurèle, au IIe siècle après Jésus-Christ, il n'y en aurait pas eu beaucoup dans le monde romain. Devant un empereur, les critiques littéraires se calment. Il n'y a qu'à les voir devant un président. Le sous-lieutenant d'artillerie Laclos - inventeur du boulet creux - a écrit le plus beau roman du XVIIIe siècle, qu'on n'eut le droit de lire qu'au XlXè : "Les liaisons dangereuses".
On peut compter Marcel Proust parmi les militaires écrivains : n'a-t-il pas devancé l'appel en 1889 pour être incorporé au 76è régiment d'infanterie à Orléans ? Et enfin le général de Gaulle, qui
fit fortune avec ses "Mémoires de guerre" et ses "Mémoires d'espoir", ce qui lui permit de refuser et son traitement et sa retraite de président de la République. Il a vécu de sa plume, comme Dickens et Balzac. Il était même désigné, dans sa feuille d'impôt, comme travailleur indépendant.
Le colonel Jacques Hogard avait écrit, en 2005, "Les larmes de l'honneur. 60 jours dans la tourmente du Rwanda", aujourd'hui réédité, avec nombre d'ajouts et de développements,
chez Hugo (12,99€).
Le 22 juin 1994, Jacques Hogard est désigné pour prendre le commandement d'un des trois groupements militaires de l'opération Turquoise.
Les écrivains font des plans et les militaires des plans d'état-major : plus précis, Hogard, avec la force et la rigueur d'un officier supérieurement doué pour les lettres, raconte ces deux mois passés dans le sud-ouest du Rwanda, entre réfugiés hutus et réfugiés tutsis, militaires tutsis et militaires hutus. Le moins qu'on puisse dire est que l'auteur ne porte pas Paul Kagame, qu'il appelle toujours le "général-président" pour souligner ses manières de dictateur africain, dans son coeur.
Indigné du procès fait, dans les médias, à la France et à ses militaires par le gouvernement rwandais et ses alliés - Hogard dirait ses complices - anglo-saxons, le colonel met beaucoup de soin à décrire toutes les opérations effectuées avec ses hommes pendant deux mois et qui ne sont en rien comparables à ce qui aurait pu être une quelconque participation au génocide. En vérité, je soupçonne Kagame de reprocher encore à la France de l'avoir empêché, en1990, de prendre Kigali avec ses troupes tutsies insurgées. Ce qui, de fait, aurait évité au Rwanda le drame de 1994.
"Les larmes de l'honneur" est un beau livre de colère froide d'un homme blessé, au sang chaud, qui a aujourd'hui quitté l'armée pour diriger un groupe de sociétés de conseil et d'assistance au développement international spécialisé en intelligence stratégique et en sûreté. Je conseille l'ouvrage aux gens qui n'ont rien compris à la guerre FPR-FDLR et à ceux qui l'ont comprise. Je laisse les autres à leur mauvaise foi malade.
Un bel hommage aux soldats de "Turquoise"
5/5 Présent, n° 8749, 6 décembre 2016
La réédition par Hugo et Compagnie du témoignage capital du colonel Jacques Hogard ne pouvait pas mieux tomber.
Alors que l'enquête, ouverte fin novembre par le Rwanda sur le prétendu « rôle joué par des responsables français dans le génocide de 1994 », et le procès en appel de l'ex-capitaine Simbikangwa ont une nouvelle fois donné l'occasion à l'anti-France de pointer du doigt notre armée, le colonel Hogard démontre, dans cet ouvrage incontournable, non seulement l'absurdité des accusations portées contre nos soldats, mais comment ceux-ci ont, au contraire, réussi à sauver des milliers de civils rwandais lors d'une mission particulièrement difficile.
Sous la grenade à sept flammes
Rappelons tout d'abord que le colonel Hogard, issu d'une famille de soldats et fils du célèbre général Hogard (1918-1999), peut s'enorgueillir d'un beau parcours de baroudeur effectué au sein de la Légion. Issu de l’École militaire inter-armes, il a servi comme lieutenant puis comme capitaine successivement au 4e RE et au 2e REP, dont il a commandé l'une des compagnies de combat de 1986 à 1988. Avec le 2e REP, il a participé à de nombreuses missions africaines (Tchad, RCA, République de Djibouti). Affecté au Bureau opérations de l'état-major des forces françaises stationnées à Djibouti en 1992, il a participé comme chef des opérations à « Oryx » en Somalie fin 1992-début 1993, « Iskoutir » en République de Djibouti, « Diapason » au Sud-Yémen et, comme commandant de groupement, à l'opération « Turquoise » durant l'été 1994. Il a fini sa carrière en 2000 au grade de colonel, après une affectation à l'état-major du commandement de la Légion étrangère, puis à l'état-major de l'armée de terre et enfin au commandement des opérations spéciales. C'est dans ce cadre qu'il a commandé en Macédoine, puis au Kosovo, en 1999, le groupement interarmées des forces spéciales qui a ouvert la voie à la Brigade Leclerc (voir son livre, paru en 2015 chez le même éditeur, L'Europe est morte à Pristina, guerre au Kosovo, printemps-été 1999). Officier de la Légion d'honneur, titulaire de la Croix de guerre des TOE et de la Croix de la valeur militaire, il est aussi aujourd'hui l'une des figures de l'Association France Turquoise (www.france-turquoise.fr), présidée par le général Lafourcade, dont le double objectif est « l'établissement de la vérité sur le drame rwandais, et la défense de l'honneur de la France et de l'armée française ».
Un témoignage capital
C'est que, ayant commandé le groupement « Sierra », l'un des trois groupements opérationnels de l'opération « Turquoise », de fin juin à fin août 1994, le colonel Hogard apporte un témoignage capital sur le drame rwandais. Dans son ouvrage, bien documenté et enrichi de nombreuses notes apportant des précisions sur les différentes affaires en cours, il revient notamment sur les vraies responsabilités du génocide. Responsabilité d'abord de l'actuel président Paul Kagamé, dont il rappelle qu'il fut l'instigateur de l'attentat perpétré le 6 avril 1994 par le FPR contre le président Habyarimana. Attentat qui allait déclencher le carnage. Responsabilité ensuite de l'ONU qui, malgré les demandes répétées de Paris, n'autorisera que le 22 juin, par sa résolution 929, la France à intervenir. Au passage, le colonel Hogard rappelle judicieusement que c'est sous le mandat de la Minuar, la force multinationale de l'ONU, commandée par le général canadien Roméo Dallaire, que s'est essentiellement déroulé le génocide. Ainsi, écrit-il très justement, « il faudra bien qu'un jour toute la vérité soit faite sur cette période charnière dramatique. Il n'y avait pas de soldats français au Rwanda pendant le génocide. Je vais même plus loin, c'est justement parce qu'il n'y avait pas de soldats français au Rwanda à cette époque charnière que le génocide a pu avoir lieu. La France n est intervenue que pour évacuer ses ressortissants, coincés dans la fournaise. Mais surtout, et c'est tout à son honneur, mesurant très vite l'ampleur de la catastrophe humaine qui se jouait là-bas, notre pays a sonné l'alarme. (...)
Lorsque nous sommes enfin autorisés par l'ONU à intervenir, nous arrivons dans les derniers feux du génocide. Et c'est nous, et nous seuls, qui, par notre présence armée, allons permettre d'arrêter les derniers massacres et de sauver encore qui peut l'être ! »
Fermeté, humanisme et honneur.
Une mission particulièrement difficile, menée « avec fermeté, humanisme et honneur » dans un contexte international et médiatique très hostile à l'intervention française. Et le colonel Hogard ne manque pas de rappeler dans ces pages passionnantes le déchaînement de la presse anglo-saxonne mais aussi française, l'agressivité de nombreuses ONG à laquelle notre armée a été confrontée ou encore les accusations à peine voilées portées par certains diplomates contre nos soldats.
Mais, au-delà du témoignage pour l'Histoire et pour la vérité, ce livre se veut aussi, et peut-être surtout, un bel hommage aux hommes de l'opération Turquoise. À ces chefs, tels le général Lafourcade ou encore le colonel Rosier auxquels Jacques Hogard consacre de belles pages, comme à ces soldats, légionnaires ou non, dont l'auteur démontre ici le très grand professionnalisme. Bref, voici un ouvrage à se procurer d'urgence.
<p align="right">FRANCK DELÉTRAZ <a href= http://www.present.fr/ target=_blank>www.present.fr</a>