"...Mais cette conviction n'aurait pas suffi, à elle seule, à me décider à m'occuper des juifs d'une façon toute spéciale, à propos de l'histoire du capitalisme moderne, si, au cours de mes études ultérieures, une autre conviction ne s'était imposée à moi, à savoir que les Juifs ont joué dans l'édification de l'économie moderne un rôle infiniment plus grand que celui qu'on se plaît généralement à leur accorder. J'ai acquis cette dernière conviction, en cherchant à m'expliquer les transformations qui se sont accomplies dans la vie économique de l'Europe entre la fin du XVe siècle et la fin du XVIIe et qui ont eu pour effet un déplacement du centre de gravité économique des pays sud-européens dans les pays du nord-ouest de l'Europe. La rapide décadence de l'Espagne, le non moins rapide essor de la Hollande, l'appauvrissement de tant de villes italiennes et allemandes, la prospérité de tant d'autres, comme Livourne, Lyon (prospérité passagère), Anvers (dont la prospérité fut également de courte durée), Hambourg, Francfort-sur-le-Main, me parurent ne pas trouver une explication suffisante dans les causes généralement citées : découverte de la route maritime des Indes Orientales, déplacement de la puissance politique, etc. J'eus alors pour la première fois la révélation subite du parallélisme, en apparence tout extérieur, entre les destinées économiques des États et des villes, d'une part, et, d'autre part, les déplacements des Juifs, dont la répartition territoriale s'était trouvée, à cette époque, profondément bouleversée. En y regardant de plus près, j'ai pu, en effet, me rendre compte que c'étaient les Juifs qui, sous les rapports essentiels, favorisaient l'essor économique des pays et des villes dans lesquels ils s'installaient, et la décadence économique des pays et des villes qu'ils quittaient."
Extrait de la préface, par l'auteur.