Rédigés au front par les Poilus eux-mêmes, entre une attaque, un bombardement et une alerte aux gaz, ou écrits au repos entre deux montées en lignes, calligraphiés avec amour ou laborieusement dactylographiés, illustrés avec soin malgré la fatigue qui brouille la vue et engourdit les doigts, puis dupliqués avec des moyens de fortune, les "journaux du front" apparaissent fin 1914 en même temps que les premières tranchées. Publier un journal c'est, pour ces soldats qui "tuent le temps en attendant d'être tués", s'évader, oublier un instant la guerre, les poux, les rats et la boue du gourbi ; c'est évoquer la "vie d'avant" (celle de l'arrière, justement !), renouer par l'esprit avec les êtres chers. C'est témoigner aussi, lutter contre l'oubli, défier la mort qui rôde, hurler que l'on est vivant envers et contre tout. Rigolboche, l'Echo des tranchées, La Roulante, Le Poilu déchaîné, le Canard du boyau, L'Echo des gourbis, Marmita, Le Petit Echo du 18e... des centaines de titres paraissent bientôt, rivalisant d'invention, de créativité, de dérision, d'humour noir - cet humour qui, on le sait et ils le prouvent, est "la politesse du désespoir". Certaines de ces "feuilles bleu horizon" ne vivront qu'un numéro. D'autres compteront des milliers de lecteurs et perpétueront jusqu'à l'armistice et même au-delà "l'esprit poilu", ce mélange de cynisme rigolard, de fraternité pudique, de verve gouailleuse qui, dans l'enfer de Verdun, de l'Argonne ou des Vosges, aidait les combattants à supporter l'insupportable. Ephémères ou pérennes, inconnus ou célèbres, grinçants ou poétiques, artistiques ou naïfs, les journaux de tranchées nous aident à porter un autre regard sur la Grande Guerre. Ils nous rapprochent aussi des Poilus, ces soldats que l'on voit aujourd'hui sous les traits ridés des "anciens combattants" mais qui, souvent, eurent vingt ans aux Eparges, au Linge, à Douaumont ou au Chemin des Dames. Depuis 1935 aucun album illustré destiné au grand public n'avait été consacré aux journaux de Tranchées. C'est ce vide criant que vient combler cet ouvrage.