« L’Autriche est décidément à la mode chez Perrin, avec un nouvel ouvrage, de Jean-Paul Bled, historien spécialiste de l’empire, sur les grands ministres des Habsbourg ; et non pas de l’Autriche. En effet, le nom du pays n’apparaît pas dans le titre, parce qu’alors elle n’existe pas en tant que telle. On la verra naître progressivement, à mesure que se développeront les sentiments nationaux dans les autres peuples qui composent l’empire.« Le choix de l’auteur, qui a consacré l’essentiel de sa carrière à l’empire des Habsbourg, se porte cette fois-ci sur neuf des principales figures qui ont accompagné les monarques du XVIIe siècle à la chute de l’empire. Neuf ministres qui ont laissé leur marque sur la marche de l’empire et leur nom dans l’histoire. On suit chronologiquement la carrière : du prince Eugène, de Kaunitz, de Metternich, du prince de Schwarzenberg, du baron Von Bach, des comtes Van Beust et Von Taaffe, du baron Von Beck et enfin du comte Tisza. Certains de ces noms résonnent plus fort à nos oreilles françaises, leurs actions ayant eu des répercussions jusqu’en France, quand les autres se sont plus limités aux frontières de l’empire des Habsbourg.« Nous parcourons avec eux environ deux siècles le la vie d’un des principaux acteurs de l’Histoire et on suit les évolutions, à la fois humaines et politiques de ces ministres. Parce qu’il est question d’hommes, de personnalités fortes qui se sont consacrés à une cause, et politique tant ces deux siècles sont marqués par de grands bouleversements. Le plus grave d’entre eux est d’ailleurs politique. Les révolutions qui sont au centre de cette période eurent en effet pour principale conséquence, avec la mise en place de la démocratie de faire de la politique un métier comme un autre. Ainsi, les derniers ministres présentés dans cet ouvrage sont des hommes politiques, qui font de la politique, quand les premiers étaient des hommes d’état au service des Habsbourg.« Mais d’abord, Jean-Paul Bled pose le décor, celui de l’empire et de la manière dont il fut façonné pour devenir ce qu’il est à la fin du XVIIe siècle, quand le Prince Eugène entre en scène. Exercice périlleux, tant est complexe la structure de l’empire . En effet, il s’agit d’un empire autrichien, alors que l’Autriche n’existe pas. Un empire germanique mais pas allemand, qui étend sa domination sur un ensemble de peuples dont certains ne sont pas germains. Après cette présentation limpide, l’auteur introduit chacun des personnages qu’il a choisis. S’en suivent les neuf chapitres qui leurs sont consacrés, avec la même méthode chronologique présentant les origines du ministre, son émergence et sa carrière. « Sans les présenter tous ici, nous dirons simplement que si les premiers œuvrent dans le temps long et permettent donc à l’auteur d’insister sur leur œuvre, qui dépasse souvent le simple cadre politique, et sur leurs relations personnelles avec le monarque, les derniers, politique oblige, sont pris dans la tourmente de leur temps et voient les événements les dépasser et leur tâche les épuiser rapidement. L’accélération de la politique et ses complications avec la multiplication des acteurs use les hommes et leur laisse donc moins le temps de marquer leur époque. Kaunitz et Metternich sont des noms qui résonnent encore dans les couloirs de l’histoire ; Von Beust ou Von Beck un peu moins.« Ce n’est ni de leur faute, encore moins celle de l’auteur qui tente d’ailleurs de renouveler leur mémoire, mais c’est ainsi que vont les choses depuis le XIXe siècle, celui qui a rendu fou les hommes en leur faisant miroiter le pouvoir. Le droit des peuples a tué l’empire des Habsbourg, la construction séculaire de cette grande famille qui n’a jamais imposé l’Autriche à ses peuples et qui a vu ses peuples s’imposer à elle. On en peut voir la lente évolution au fil des ministres et des relations internationales.« L’empire des Habsbourg est d’abord opposé à la France, le vieux rival de la famille et alliée à la Prusse, la puissance émergente qui fait contrepoids. Puis survient le renversement des alliances qui inverse la donne, le danger venant maintenant de la Prusse, qui entend être la puissance germanique. Les peuples commencent à se manifester et la France qui les a réveillés leur montre l’exemple avec la révolution. Ce qui pousse bien entendu l’Autriche à rompre son alliance et à se tourner contre la France ; les monarchies contre les peuples. Un tel affrontement ne pouvait avoir que des conséquences terribles, et l’empire Habsbourg, qui a changé de forme depuis le passage de Napoléon, bien que vainqueur en sort affaibli. Au contraire de la Prusse, monarchie germanique qui entend faire l’unité de ce peuple. L’Autriche, qui doit alors lutter pour conserver son équilibre intérieur depuis le réveil des peuples, doit maintenant revenir au système d’alliance qui avait précédé la révolution. Mais il était trop tard, le monde avait changé et la Prusse était trop forte. D’autant plus que les querelles intérieures, exploitées par la Prusse et la Russie affaiblissaient toujours plus l’empire Habsbourg… Qui fut finalement contraint de s’allier à l’Allemagne. « Et c’est la Guerre de 14, la guerre démocratique, bien loin de celles où brillait le Prince Eugène et le faisaient entrer dans l’histoire, qui détruisit l’empire des Habsbourg, le réduisant à la simple Autriche, l’égale de la Yougoslavie ou de la Tchécoslovaquie. »Laurent CAUSTE, dans Lectures Françaises n° 803 (mars 2024)