L'AF n'est pas morte
5/5 Minute, n°2805, 18 janvier 2017
Pierre-Guillaume de Roux vient de rééditer l'ouvrage classique de Paul Gérant sur Les Dissidents de l'Action française (1977) : une occasion de mesurer la fécondité de l'école d'Action française, en montrant les enthousiasmes si différents que Charles Maurras a pu susciter et les raisons tellement distinctes de ceux qui, à un moment ou à un autre, s'éloignent de lui...
Dans un article écrit au moment de la mort de Maurras (1952), recueilli dans cette nouvelle édition, Paul Sérant propose de considérer comme caractéristique de l'esprit maurrassien cette formule : « Le grand mal ne vient pas du socialisme, ni du communisme ni de l'étatisme radical, mais bien de la démocratie. » À l'heure où triomphe l'esprit libéral-libertaire, on comprend peut-être mieux Charles Maurras que lorsque l'Adversaire, avec un grand A, s'appelait Hitler ou Staline.
La démocratie, écrivait-il encore, « c'est le mal et la mort ». Maurras, qui n'a pourtant jamais cédé à la tentation totalitaire, fait partie des auteurs infréquentables.
Le totalitarisme n'a pas toujours laissé insensibles ses héritiers, devenus du coup des « dissidents », par adhésion à telle expérience totalitaire.
Parmi ces « dissidents » dont Paul Sérant a dressé ici une liste non exhaustive, l'un, Brasillach, a quitté le maître pour Hitler, tombant littéralement amoureux de l'esprit allemand (« Nous avons couché avec l'Allemagne et cela n'a pas été désagréable »), même après s'être détourné du Führer ; l'autre, Claude Roy, est tombé sous le charme de Joseph Staline avant de s'en séparer définitivement et apparemment sans la moindre nostalgie.
Le vent de l'histoire est plus fort que celui des convictions personnelles.
Ces deux vies, celle de Brasillach, si tragique, celle de Claude Roy, si décevante, ne disent au fond que bien peu de choses des raisons profondes de leur dissidence. Deux expériences totalitaires ont emporté leur adhésion. L'affaire est, au fond, banale. On peut mettre dans le même panier Jacques Maritain : l'origine de son éloignement, c'est la condamnation de l'Action française, fulminée par le pape Pie XI, admirateur secret de Mussolini, pape autoritaire qui répétera à plusieurs reprises : « L'Église catholique, elle aussi, est totalitaire. » Le très long développement que consacre Paul Sérant au philosophe néo-thomiste est sans doute le plus faible du livre.
Le drame de Maritain ? En cédant à la pression de Pie XI, il abandonne la pensée libre, il « pense », mais « sous le joug de l'obéissance », selon un magistère, qui, d'ailleurs, oscillera lui-même bientôt au vent de la modernité. Le philosophe quitte l'Europe « par hasard » en 1940, c'est aux États-Unis qu'il croira retrouver la liberté.
Voir l'auteur d' Antimoderne (1922) transformé en thuriféraire de l'Oncle Sam, par la médiation malencontreuse de l'homme en blanc du Vatican, ce tableau apparaît d'un comique grinçant et Sérant prend cette trajectoire manifestement trop au sérieux.
Il me semble que les deux tableaux les plus forts que propose notre critique sont chronologiquement ceux qui correspondent aux deux premiers dissidents de quelque envergure, Georges Valois et Louis Dimier. Rien ne rapproche ces deux hommes, sinon une ambition sincère pour l'Action française. Le premier est un syndicaliste d'origine socialiste, qui, avant-guerre, contribue à créer le Cercle Proudhon, émanation de l'Action française à destination de la gauche syndicaliste. C'est le conservatisme de Maurras, mais aussi sa réticence devant l'action, qui embarrassent cet activiste né, au point de le pousser à donner sa démission.
Le second est un catholique sincère, qui donna d'innombrables cours à l'Institut d'Action française et qui reproche frontalement à Maurras, non pas de n'être pas catholique, mais de ne plus rien tenter (après la Première Guerre mondiale) pour prendre le pouvoir, alors même qu'il n'avait cessé jusque-là de se demander « si le coup de force est possible ».
Je suis frappé de la convergence des reproches, venant des deux bords opposés de la politique française et en même temps de deux militants sincèrement convaincus de l'importance historique du mouvement auquel ils se sont l'un et l'autre donnés corps et âme. Je ne parlerai pas ici de Bernanos et de sa défense de « l'honneur monarchique » contre le « réalisme maurrassien », car Bernanos a exaspéré le conflit avec Maurras sans chercher à le résoudre.
Reste la figure de Thierry Maulnier, un dissident qui n'a jamais attaqué l'Action française, qui a contribué à faire la politique du journal jusqu'en 1942, qui, ensuite, a souhaité se taire et n'y a écrit que des articles culturels. Il aurait pu être l'ange gardien idéologique de Maurras, si Maurras avait cru aux anges.
Dans Au-delà du nationalisme, avant même la guerre, ce disciple brillant a cherché à montrer comment l'Action française n'était ni fasciste ni socialiste mais pour une véritable « révolution française », qui signifiait d'une part une politique de puissance et donc un gouvernement autoritaire, mais en même temps une politique de civilisation, selon l'antique tradition du pays, qui ne permette d'accepter aucune forme de compromission avec l'inhumain.
Thierry Maulnier ne fut pas inquiété à la Libération il écrira toute sa vie dans « le Figaro », souvent sans signer, tant son nom excitait encore la vindicte des idéologues de gauche. Si l'expression « soldat perdu » a un sens étymologique, il me semble que c'est à son propos.
<p align="right">Joêl Prieur <a href= http://www.minute-hebdo.fr/ target=_blank>www.minute-hebdo.fr</a>