«La bataille pour la liberté de l'instruction en famille ne fait que commencer»
5/5 https://www.lefigaro.fr/
.----. FIGAROVOX/TRIBUNE - L'article 49 de la loi Principes républicains, qui durcit les conditions de dispense de l'école à la maison, doit paraître début février. Au nom de la liberté d'instruction, Jean-Baptiste Maillard demande au gouvernement de renoncer à cette mesure.
Jean-Baptiste Maillard est secrétaire général de «Liberté éducation», une association de défense des parents qui ont choisi l'instruction à domicile pour leurs enfants. Il publie L'école à la maison: une liberté fondamentale (éd. Artège, 2021).
À première vue, l'école à la maison ne concerne qu'un petit nombre d'enfants : 62.000 l'année dernière. Et pourtant, il s'agit d'une liberté fondamentale dont tous les parents peuvent avoir besoin un jour, comme nous l'avons vu pendant le premier confinement. L'école à la maison, qu'on appelle aussi instruction en famille («IEF»), fut alors imposée à tous. Les familles n'y étaient certes pas préparées, les parents contraints de jongler entre le télétravail et l'investissement chronophage que mérite cette instruction. Si nombre d'entre elles vécurent mal ce choix «subi» que d'autres ont mis souvent plusieurs années à mûrir, beaucoup cependant goûtèrent avec bonheur à cette première expérience et eurent même envie de la poursuivre. Ainsi, dans les pays où l'école à la maison se développe, elle aurait augmenté de 30 à 40 % depuis 2019.
Le 2 octobre 2020, le Président de la République a pris une décision «radicale», selon ses propres mots : restreindre drastiquement cette liberté fondamentale aux seuls impératifs de santé, c'est-à-dire aux enfants ne pouvant pas du tout aller à l'école en raison d'un lourd handicap. C'était sans compter sur la mobilisation des familles, qui reçurent des soutiens sur tous les bancs de l'Assemblée, y compris au sein du parti présidentiel. Pour les familles déjà en instruction en famille, nous gagnâmes deux années de dérogation supplémentaires, ce qui fut loin de nous satisfaire. La loi fut votée manu militari et promulguée en août 2021. Le Conseil constitutionnel émit cependant une réserve d'interprétation concernant l'intérêt supérieur de l'enfant. Mais on apprend aujourd'hui que le prétendu séparatisme de ces familles n'était en réalité qu'un prétexte du gouvernement.
Jusqu'alors, tous les deux ans, la Direction générale de l'enseignement scolaire (Dgesco) produisait un rapport sur l'instruction en famille. Mais après le couperet présidentiel, les deux derniers rapports sont restés enfermés dans leur coffre-fort pendant plus de onze mois, jusqu'à la promulgation de la loi. Les demandes officielles des parlementaires en séance n'y changèrent rien. Sans accès à ces rapports, la représentation nationale fut contrainte de voter à l'aveugle, véritable entorse au débat démocratique. Que disent ces rapports ? Plus de 98% des enfants instruits en famille satisfont les attendus du socle commun de connaissances. Mieux : pour la dernière année étudiée, seulement 0.09% de ces enfants font l'objet d'une injonction de rescolarisation et aucune pour radicalisation ou séparatisme. Ils contredisent ainsi ce que le ministre de l'Éducation nationale Jean-Michel Blanquer cherche toujours à faire entrer dans l'imaginaire collectif à grand renfort de plateaux TV : l'école à la maison serait le dangereux terreau de séparatistes. Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose…
Le 21 septembre, le député Grégory Labille, très actif pour défendre cette liberté pendant le processus législatif, a interrogé le ministre sur le sujet. Le 5 octobre, un autre député de l'opposition, Marc Lefur, lui a emboîté le pas. Ces députés soulignent bien que ces rapports ne font «allusion à aucune dérive séparatiste ou sectaire». Et de demander à Jean-Michel Blanquer s'il compte «reconsidérer sa position à l'aune de leurs conclusions». On attend toujours la réponse du ministre. Aujourd'hui, le député Patrick Hetzel et le sénateur Max Brisson les ont rejoints, cette fois dans leurs vives inquiétudes concernant les décrets très restrictifs qui ont fuité dans la presse. Ils demandent les véritables raisons du ministre d'avoir fait voter cette loi : à quand un moratoire ?
Comme le montre aussi l'enquête L'école à la maison, une liberté fondamentale1, les meilleurs chercheurs spécialistes en radicalisation de nos instituts de recherche, du CNRS à la Fondation de Recherche Stratégique jusqu'à l'Institut des Hautes Études du Ministère de l'Intérieur, tous confirment qu'aucun chiffre ne vient étayer cette thèse du radicalisme. L'annonce d'Emmanuel Macron de vouloir restreindre la liberté d'instruire en famille pour cette raison, lors de son discours des Mureaux, était donc sans aucun fondement. À quand un mea culpa pour nos familles, qui se sont senties insultées ?
Ces rapports révèlent l'incroyable succès de l'instruction en famille, à en faire pâlir l'éducation nationale. Ils prouvent ainsi à quel point l'instruction en famille mériterait d'être encouragée par le ministère, et soutenue matériellement, comme dans de nombreux pays. Véritable laboratoire d'innovations pédagogiques, terreau de succès scolaires, l'école à la maison est un phénomène en pleine croissance au niveau mondial. Pour la chercheuse Patricia Lines, membre du département américain de l'Éducation, ancienne professeur à Havard, «l'essor de l'école à la maison est l'une des tendances sociales les plus importantes du dernier demi-siècle». Un seul pays au monde cherche à la réfréner, sur le seul fondement d'une lubie jupitérienne : le nôtre. Le parti En Marche est-il celui de l'anti-progrès, en marche arrière d'une évolution sociale inéluctable ?
Le coffre-fort de la Dgesco garde encore secret le nombre d'enfants déclarés instruits en famille depuis la rentrée 2021. Auditionnés le 5 octobre dernier à la Dgesco avec d'autres associations nationales de l'instruction en famille, nous avons posé la question : promesse de nous fournir les chiffres… après la Toussaint. Mais comme pour Malbrough, la Trinité se passe. Le 24 janvier, dans Le Parisien, le ministère éludait encore la question : «aucune statistique n'est disponible depuis le début de la crise sanitaire». Pourquoi une telle opacité, alors que ces chiffres remontent naturellement des académies ? Ce manque de transparence est tout sauf républicain. Défendons-nous aujourd'hui 100.000 enfants après que le Président eût voulu interdire cette liberté fondamentale ? Ce serait un véritable camouflet. Mais le libre choix des familles, la priorité des parents dans l'éducation de leurs enfants sont bien trop importants pour que les intérêts électoralistes d'Emmanuel Macron les étouffent.
Depuis un an et demi, Jean-Michel Blanquer a choisi d'ignorer les arguments des associations nationales de l'instruction en famille, a refusé le dialogue, a pratiqué le passage en force, n'a écouté aucun membre de l'opposition, ni les députés du parti présidentiel opposés à cette mesure, ni la Défenseur des Droits Claire Hédon, ni la Commission nationale consultative des droits de l'Homme, ni le Syndicat national des inspecteurs d'Académie, ni membres du Conseil d'État en leur premier avis (rapport Bergeal), ni l'historien de la laïcité Jean Baubérot que cite pourtant souvent le Président, ni la cheffe du renseignement territorial qui estimait en commission qu'il n'y avait «pas de lien direct entre repli communautaire et augmentation de l'instruction en famille». Qui le ministre a-t-il vraiment écouté ? Et on l'a vu s'engluer dans ses carabistouilles de bon petit soldat du Président. Il a encore récidivé, au mois de janvier, en soumettant presque secrètement les décrets d'application de la loi Principe républicains au Conseil d'État, sans même se soucier des associations représentant les enfants porteurs de handicap. Le 21 janvier, le Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées a voté un avis très défavorable, regrettant qu'on puisse déclarer qu'un enfant handicapé est «impossible à scolariser». Il fustige des projets de décrets contraires à la Convention des Nations–Unies relative aux droits des personnes handicapées, à la Convention internationale des droits de l'enfant et à la Constitution. Et que dire des 700.000 enfants de France harcelés chaque année, pour qui l'école à la maison est bien souvent la seule véritable issue de secours ? Il faudra obtenir l'accord écrit du directeur d'école, qui pourra être juge et partie. Enfin, à partir de septembre 2022, il ne sera plus possible de retirer ses enfants de l'école en cours d'année, ce qui ne permettra plus aux parents et à l'équipe enseignante de s'adapter, dans l'intérêt de l'enfant, à une évolution de sa situation. Quant à la commission de recours en cas de refus d'autorisation, le projet de décret prévoit qu'elle soit présidée par le recteur d'académie et composée exclusivement de membres désignés par lui, tous membres de l'Éducation nationale, sans aucune participation des associations nationales de l'instruction en famille ou des associations d'enfants handicapés. Est-ce bien cela l'égalité et la justice, dans notre République ? Sans abandon de ce nouveau régime d'interdiction déguisée, un lourd contentieux des familles est à prévoir dès la rentrée prochaine.
Des dizaines de milliers de familles continuent d'exhorter le gouvernement à renoncer à cette mesure. En effet, on peut encore se ressaisir et renoncer à cette volonté controversée, disproportionnée et injustifiée de placer l'école à la maison sous la tutelle d'un contrôle total bien différent d'un régime de liberté. Il reste inadmissible qu'Emmanuel Macron et son gouvernement aient instrumentalisé le séparatisme pour interdire cette liberté fondamentale des parents de choisir l'instruction en famille. Faute de renoncer à la publication des décrets, nous aurons encore d'âpres batailles politiques et judicaires, toutes à la hauteur de l'enjeu. N'oublions pas que la liberté fait partie de notre devise républicaine. La bataille pour cette liberté fondamentale de l'instruction en famille ne fait que commencer. Il s'agit d'une juste cause : elle finira tôt ou tard par l'emporter. Le président de l'association des maires de France, David Lisnard, l'a affirmé ces jours-ci : «la règle devrait être la liberté, or notre régime de libertés est devenu un régime d'autorisations». Il est temps d'y revenir.
(1) : Il est aussi l'auteur avec son épouse Marie d'une grande enquête sur l'instruction en famille, L'école à la maison, une liberté fondamentale parue aux éditions Artège en septembre 2021.
Tribune également signée par ces associations nationales :
Armelle Borel, association UNIE (Union Nationale pour l'Instruction et l'Épanouissement des Enfants et des plus grands).
Laurence Fournier, collectif ELLM (L'École Est La Maison)
Julie Larcher, Fédération Félicia (Liberté du Choix de l'Instruction et des Apprentissages)
[ Publié le 03/02/2022 ]