Le système du complotisme

Le complotisme consiste à expliquer l'ensemble des événements liés les uns aux autres en une sorte de "métacomplot". Un groupe puissant aurait organisé en secret un plan maléfique en vue de transformer les institutions, usurper le pouvoir, poursuivre ses propres intérêts, cachés. Le conspirationniste est celui qui divulgue ; son champ métaphorique est celui de l'ombre, des coulisses ; sa sensibilité aux mensonges est celle d'un écorché vif, son expression est la logorrhée ; sa mission, entre sublime et tragique, ressemble à un donquichottisme.
Ce Don Quichotte de l'ère moderne, dont les fake news est l'épée, poursuit en réalité une longue tradition : les thèses extravagantes autour de l'assassinat de J.F. Kennedy, ou les récentes rumeurs d'une forêt amazonienne en feu, sont en effet les nouvelles manifestations d'un phénomène déjà observé dans la Rome antique, prétendument incendiée
par les Chrétiens, ou au Moyen-Âge, au cours duquel une chasse aux sorcières a été menée par l'État au nom de sa souveraineté.
Ce phénomène est donc plus profond que la "simple" propagation des rumeurs à laquelle les réseaux sociaux donnent aujourd'hui une potentialité. Avec autant d'érudition et de pédagogie, et un sens aïgu de la responsabilité des intellectuels, Sylvie Taussig donne ainsi à voir des liens constants avec l'ésotérisme et la gnose, au sens de Vérité
salvatrice réunissant un cercle d' "initiés" échappant au carcan de l'occultation ; et démontre que sous toutes ses formes, le complotisme ne fait jamais que jouer sur la peur et plus : la passion de la peur. 

Agrégée et doctoresse en lettres classiques, Sylvie Taussig est chercheuse au CNRS. Ses travaux portent en particulier sur les liens entre philosophie, science et ésotérisme. Elle partage sa vie entre Paris et le Pérou, où elle s'intéresse au fait spirituel.