Dans la Divine Comédie de Dante, les traîtres disposent d'un espace bien à eux, où ils se sentent chez eux : le neuvième cercle de l'Enfer (qui est aussi le dernier). C'est là, en particulier, qu'on rencontre Judas, qui livra le Christ à ses persécuteurs, ou encore Ganelon, le traître de Roncevaux. Mais le lieu de résidence des traîtres n'est de loin plus, aujourd'hui, le neuvième cercle de l'Enfer. Il s'est considérablement revalorisé. La trahison a désormais pignon sur rue. C'est elle qui dit le bien et le mal, le beau et le laid. Elle régente l'opinion, fait et défait les réputations, etc. Bref, elle est aux leviers de commande. Pour certains, il faudrait y voir la main du KGB, qui a su admirablement jouer de toutes les ficelles de la subversion pour amollir les âmes, les amener à se faire d'elles-mêmes les auxiliaires de l'espionnage soviétique (plus de 7 millions d'informateurs à travers le monde). Mais il ne faudrait pas pousser trop loin l'explication volontariste. La subversion ne saurait rendre compte, à elle seule, de la perméabilité du milieu occidental à la subversion. C'est l'occasion qui fait le larron, non l'inverse. Et même si les Soviétiques ont beaucoup investi, depuis cinquante ans et plus, pour créer, en Occident, un climat favorable à la trahison, jamais ils n'auraient remporté les succès qui ont été les leurs s'ils ne s'étaient trouvés en présence d'individus déterminés en tout état de cause à trahir, à trahir n'importe quoi pour n'importe qui, et pour n'importe quel salaire. Car telle est bien aujourd'hui la réalité. On ne trahit plus guère aujourd'hui par passion. Moins encore par idéal. Parfois encore, il est vrai, par appât du gain. Mais bien souvent aussi pour moins que rien.
Eric Werner