Le saut par la fenêtre - Roman

Une amitié nostalgique et fondatrice

5/5 Présent .

.----. Même s’il porte comme une ombre une certaine nostalgie, Louis Pozzo di Borgo est un auteur qui a toujours été préoccupé par l’importance de transmettre, de fournir des munitions pour envisager le futur. Et c’est aussi à travers ses romans qu’il a à cœur de témoigner d’une épopée et de partager, à travers ses personnages, ses préoccupations sur le monde contemporain. Résonne tout d’abord cette mélodie d’un temps perdu devenu un mirage : l’Algérie d’autrefois. Cette plaie toujours ouverte qui, après avoir fait couler le sang, fait couler l’encre et les larmes de regret. L’auteur évoque avec poésie ses paysages et ambiances, ce département disparu corps et bien. Et puis cette discussion que mènent les deux protagonistes sur ce qui fonde la civilisation française et ce qui la sape. Une réflexion conduite sur les problèmes de notre temps de façon profonde. Ceci est la trame de fond de la pensée de Pozzo di Borgo. L’ouvrage trouve ensuite son intérêt dans les thèmes plus universels qu’il aborde : le veuvage, la vieillesse, la souffrance, la mort et la foi. Des sujets souvent bien peu abordés et pourtant à la source de méditations sans fin. « Nos morts désespèrent. Nos morts nous implorent. Nous vivons impuissants. Nous vivons complices. Nous vivons fatalistes. Nous vivons renégats dans la triste apostasie. Nous vivons dhimmis. » Robert et Jacques sont deux récents veufs ayant chacun décidé, sans se connaître, de larguer les amarres pour une croisière méditerranéenne. De caractères dissemblables, le voisinage en cabine les oblige à converser en hommes civilisés qu’ils sont. Ils se découvrent alors tous deux pieds-noirs et voient éclore entre eux une amitié spontanée et sincère. Comme une rare fleur du Rif. Confrontés au deuil, ils se dépouillent du paraître pour échanger en toute sincérité sur leurs angoisses et leurs souffrances. Le cadre de cette croisière à étapes est un décor parfaitement trouvé pour faire alterner discussions à bord et réflexions à terre. On se sent avec eux comme des étrangers débarqués sur des terres familières (de par la civilisation hellénique), mais étrangères finalement (comme des intrus débarquant en masse des paquebots touristiques). Ainsi incompris parmi nos semblables et pourtant sur le même bateau ! Jacques mène par la suite une retraite active au sein de l’Eglise militante (un brin improbable). Souffrant d’un cancer et face à la mort, Robert se trouve, lui, moins armé, et exprime de touchantes révoltes et méditations existentielles. S’en suit un bel échange épistolaire entre les deux amis sur la foi et la souffrance. Car la vie est un combat pour lequel Pozzo di Borgo ne baisse pas les armes. ( Sigisbert Clément dans " Présent " le 16/02/2018 )