Entre fantaisie et jeux d’esprit !
4/5 Présent.
.----. Pour aborder la littérature française auprès des élèves, le Lagarde et Michard a fait ses
preuves. Mais par les temps actuels, ceux-ci ont souvent quelque réticence à aborder les
grands noms de notre patrimoine des lettres. C’est là, à notre avis, que peut intervenir le
Sanders-Express, un recueil de petits textes, en prose ou en vers, où calembours et jeux de
mots – parfois lestes, mais Alain a fait son service militaire dans l’infanterie de marine –
règnent en maîtres. Enseignants qui craignez de ne recueillir que bâillements à la seule
évocation du nom de José-Maria de Heredia, le livre de Sanders peut vous aider ! En
effet, pourquoi ne pas provoquer gentiment votre auditoire somnolent par une approche
novatrice propre à le réveiller ? Juste au soir / De sa vie / José Maria / De Heredia /
Avoua / « J’en ai Trophées… »
Quatre siècles de littérature
Dans le cadre un peu spécial tracé par l’auteur de Rimbaud est aux Afriques, il est
possible, entre autres, parcourir quatre siècles de littérature à travers près d’une trentaine
de noms. Pour le XVIIe siècle, il y a Pascal (titre : « A l’aise Blaise »), La Fontaine,
Fénelon, tandis que le XVIIIe apparaît comme le parent pauvre des saillies de Sanders.
Un foisonnement de bon aloi se retrouve pour le XIXe siècle avec Vigny, Benjamin
Constant, Fromentin, Daudet, Mistral, Madame Récamier, Jules Sandeau, Madame
de Staël et Chateaubriand, bien sûr : « Pour se venger parfois / De la fille de Necker /
Chateaubriand montait / Sur le pied de Staël. » Sans oublier l’obligée George Sand :
« Elle fut, à ses noces, / Baronne Dudevant. / Ses amis prétendaient / Qu’elle était du
derrière. » Le XXe siècle se taille la part du lion avec notamment : Barrès, Alain, Camus,
Pagnol, Mauriac (Sagouin, une appellation, certes évocatrice, mais que l’on peut trouver
imméritée vu la qualité du roman), Martin du Gard, Gide, Colette, Simenon,
Supervielle – « Supervielle ? / Joli nom / Pour un trouvère ! ». Et, en guise de feu
d’artifice final, « C’est l’bouquet » : « Julien Green / Reverdy / Prévert / Saint-John
Perse / Yvonn’ Printemps, Scève, Fabre d’Eglantine / Un vrai bouquet / Champêtre. »
Mieux que grimpé sur une table…
Ces références multiples et variées d’auteurs nous font souvenir qu’Alain Sanders est
docteur ès lettres. Et qu’il fut, avant d’être le journaliste et le grand reporter apprécié que
les lecteurs de Présent connaissent, un professeur de liberté lorsqu’il enseignait de par le
monde, que ce soit au Nigeria, au Sud Viêtnam, en Ethiopie, ou au Maroc. Un
rapprochement est ainsi à établir avec le professeur du film Le Cercle des poètes disparus
(1989, USA, rôle tenu par Robin Williams). Ce dernier apprend à ses élèves le goût de la
poésie et de la joie de vivre par des méthodes non conformistes, comme le fait de monter
sur leur pupitre afin de porter un regard différent sur ce qui les entoure. Disons que le
maniement des calembours et autres jeux de mots employés par Sanders peut avoir un
effet semblable… sans craindre une détérioration du mobilier.
Les jeux d’esprit représentent une veine de la littérature nationale. Relevons que le
calembour fut mis à la mode au XVIIIe siècle par le marquis de Bièvre (1747-1789) qui
écrivit des facéties comme Les Amours de l’ange Lure et de la fée Lure. On peut lui préférer
les bons mots d’un autre marquis, Champcenetz (1759-1794), mis en valeur dans le film
de Patrice Leconte, Ridicule, sorti en 1996 ; ainsi du fin lettré répondant à Louis XVI lui
demandant de lancer une plaisanterie à son sujet : « Impossible, sire, le roi n’est pas un
sujet. » Sanders, homme de tradition ? Nous le savions !
Le Sanders-Express est de retour donne à rire, à sourire ou à rêver. Avec ses deux, trois ou
quatre vers de quelques pieds seulement, il « met en pièces », outre nos gloires littéraires,
le quotidien raisonnable, l’art, la politique… et le reste !
La formule choisie, fait penser au savoir-faire des haïkaïs (ou haïkus) japonais. Le haïkaï
doit être très simple, dépourvu de tout artifice poétique et constituer une petite image.
Plus précisément, les compositions d’Alain Sanders évoquent celles de Jack Kerouac,
Quelques haïkaïs occidentaux (in Jack Kerouac, Poèmes, Seghers, 1976). L’humour,
décidément, ne connaît pas de limites. [ Philippe Vilgier dans Présent, n° 9309 du 22 février 2019 ]