Liés par un philtre d'amour, Tristan et Iseut sont emportés par une passion dont le désir ne peut être retenu. Loin de l'amour courtois, se donnant corps et âmes l'un à l'autre, ces amants-là rompent avec tous les codes ; éveillant les soupçons et la jalousie, obligés de ruser pour sauver leurs vies, ils connaissent "l'âpre joie et l'angoisse sans fin" des passions interdites. Fugitifs, c'est le pardon du roi Marc, époux deux fois trompé, qui les ramènera à la raison. Iseut retrouve son mari, Tristan convole en justes noces, mais l'amour est le plus fort qui les conduira à la mort, après que seront "bues toute misère et toute joie".
Courage, pardon, fidélité, mais aussi suspicion et mensonges, après le temps de l'amour magique vient celui de l'amour humain, avec son cortège de sentiments contraires et communs à toutes les épopées amoureuses. Mais en dépassant l'œdipe, en sortant de la logique tribale, en introduisant le pardon chrétien, ce mythe est, selon Michel Clouscard dans son Traité de l'amour fou, à l'origine de la civilisation occidentale, car il "synthétise admirablement la liberté individuelle et l'inexorable de la loi, liberté et nécessité".
Issu de la tradition orale de Bretagne, précédant la légende arthurienne qui en est probablement inspirée, ce chant est traduit une première fois en français et couché sur le papier au XIIe siècle, puis d'autres versions voient le jour, toutes ayant été partiellement perdues. Jacques Bédier, au début du XXe siècle, en rassemble les fragments qu'il réécrit en langage moderne, afin de reconstituer l'histoire complète et lui permettre de parvenir jusqu'à nous, ici richement illustrée par des gravures en couleurs de Robert Engels. Anne Lucken