Ce livre n'est ni un livre de droit exposant le statut institutionnel du juge ni un vademecum pédagogique introduisant au métier de juge ; il ne résume pas non plus le tableau organisationnel de l'institution judiciaire. Il propose quelques réflexions philosophiques sur certaines des difficultés qui surgissent dans l'exercice du métier séculaire de juge. Dans le décorum austère des palais de justice, l'office du juge est de "dire le droit".
La solennité des audiences - "Messieurs, la forme !" -, loin d'être en elle-même dépourvue de signification, enserre un noeud de questions redoutables : non seulement celle de la relation entre le travail du juge et la loi, mais, plus délicates, celles du rapport qu'il implique avec le droit et l'équité ou avec la morale. Une interrogation critique radicale doit pousser plus avant l'investigation et se demander quel est, par-delà l'habilitation institutionnelle du juge et le respect des "principes généraux du droit" auquel il est tenu, le principe des principes duquel procède, en un jugement, le travail du magistrat.
La question est d'ordre méta-juridique. En balayant l'essentialisme traditionnel, les "vagues de la modernité" ont ciselé un modèle rationnel qui, posant la question Quid juris ?, répond à une logique de justification et de validation. Le droit de juger qu'a le juge s'enracine donc dans un transcendantal de type kantien réaménagé et élargi, qui - fût-il "irréalisable" comme l'est toute "Idée de la raison" - est devenu un pari normatif.
Ce pari fondamental donne au juge non pas la silhouette de Jupiter, d'Hermès ou d'Hercule, mais celle de Sisyphe. En tant que monnaie d'un inaccessible Absolu, un tel pari est, dans l'office du juge, le révélateur "terrible" de la puissance et des limites de la condition civile des hommes.
Simone Goyard-Fabre est professeur émérite des Universités. Elle a consacré sa carrière - enseignement et recherche - à la philosophie du droit et publié, en cette discipline, de nombreux ouvrages et articles. Signalons, parmi ses derniers travaux, Repenser la pensée du droit (Vrin, 2007) ; La textualité du droit (Cerf, 2012) ; La normativité du droit (Edilivre, 2015) ; Le droit, une philosophie de l'intervalle (Apopsix, 2017).