C’est en 1961 que Léon de Poncins publia un ouvrage intitulé : Espions soviétiques dans le monde. Une étude truffée d’informations de première main sur la subversion communiste et ses ramifications internationales, représentée principalement par des agents d’origine juive (mais pas que) aussi intelligents que déterminés. Il eut notamment le mérite de souligner le rôle d’un certain Willy Münzenberg, funeste chef de la propagande stalinienne et expert en manipulation. Mais l’auteur étant considéré encore de nos jours, à l’instar d’un Henry Coston, comme un « antisémite fanatique » ou un « paranoïaque extrémiste assoiffé de sang », ses travaux devaient être jetés, comme bien d’autres, aux oubliettes de l’histoire et n’être lus que par quelques obscurs électrons libres qu’il faudra bien punir un jour ou l’autre pour avoir osé parcourir cette « littérature de mensonge et de haine ». Or trente années plus tard, c’est le chercheur juif spécialiste de la guerre froide Thierry Wolton qui se chargea, bien qu’indirectement, de donner raison à Léon de Poncins. Son ouvrage, fort intéressant au demeurant, était censé contenir des révélations « bouleversantes » qui furent en réalité autant de secrets de Polichinelle enfin dévoilés aux yeux du grand public. Il est vrai que l’auteur, de par son statut privilégié, eut accès à des sources confidentielles inédites et se livra à un travail minutieux solidement référencé. On fera (ou refera) la connaissance de personnages importants comme l’impitoyable Otto Katz, Ian Berzine, Leopold Trepper, le banquier Olof Aschberg, Jean Moulin et surtout un certain Henri « Harry » Robinson dont on appréciera le charmant portrait en guise de couverture de l’ouvrage. Cet homme joua un rôle déterminant en tant qu’agent soviétique en France, tout comme le mystérieux Eugen Fried, véritable chef du PCF derrière le pantin Maurice Thorez ou encore le sinistre Jean Jérôme (Feintuch). On retrouvera surtout Willy Münzenberg, chef d’un réseau d’espions internationaux ayant des contacts partout, en particulier dans les milieux intellectuels et artistiques qu’il sut infiltrer et manœuvrer habilement afin d’organiser un vaste mécanisme de séduction universelle et répandre en Occident le virus communiste, socialiste ou encore « gauchiste », la nuance dépendant de la personne que l’on cherchera à subvertir. Tout cela se fit au nom de la très noble et sacro-sainte « lutte contre le fascisme », une espèce de formule magique qui fit sombrer dans la folie des millions de personnes fanatisées et hypnotisées par les méthodes de Münzenberg (dont on finit par retrouver le cadavre dans une forêt française). Cet ouvrage sérieux rédigé par un historien pro-américain et démocrate aura néanmoins le mérite de lever, certes très timidement, le voile sur la réalité en nous faisant comprendre que les acteurs qui jouent un rôle déterminant dans le cours des événements qui ponctuent l’histoire contemporaine n’ont rien à voir avec ceux que l’on nous présente habituellement comme de grandes figures historiques. L’aperçu proposé ici est certes minime, il mérite toutefois d’être signalé et n’en demeure pas moins appréciable.I. C., dans Lectures Françaises n° 805 (mai 2024)