Voici le livre d'humeur et de réflexion d'un de nos plus grands historiens, fondateur de l'histoire quantitative, dont l'"esprit républicain" supporte mal le gâchis de la dispendieuse commémoration de l'archétypale, très sainte, sanglante et belliqueuse Révolution.
Le processus improprement dit révolutionnaire entrave, retarde, compromet l'évolution en cours d'une société vivante, moderne, en heureuse et rapide mutation dont les indices par tête venaient de rattraper les performances de la créative Angleterre, que la France surclassait, alors, de toute manière, par le nombre et le poids.
Une structure d'État qui s'est figée, le piège d'une série de mauvais choix, l'abandon en 1774 de l'excellente réforme Maupeou, un règlement électoral absurde mettent en place une masse critique de bouleversements erratiques, qui fait émerger la boue, et entraîne, au moment où commence la vraie révolution, la révolution industrielle, un des plus grands ratages de l'histoire.
L'inflation, le retour à l'économie de subsistance, l'appauvrissement du patrimoine, la désalphabétisation, la plus atroce des persécutions religieuses, la plus grande flambée d'intolérance, l'amenuisement irréversible de la fécondité, le "populicide" de Vendée et la guerre d'agression qui entraînent un volume de pertes supérieur à celui de 1914-18 méritent-ils tant d'honneur ? Était-il convenable à trois ans de l'Acte unique qui scelle l'amitié européenne de commémorer ça ?
Pierre Chaunu, né en 1923, professeur à Paris-Sorbonne, membre de l'Institut, chroniqueur régulier au Figaro, a publié, de Séville au Temps des réformes, de La Mémoire de l'éternité à La France, soixante titres qui constituent l'une des oeuvres de recherche et de réflexion historiques les plus remarquables de ce temps.