Immersion au cœur de la vie monastique
5/5 https://www.billetdefrance.fr/
.----. Nicolas Diat est éditeur et écrivain. Ces dernières années, il a édité des livres qui ont suscité un réel engouement : J’ai tiré sur le fil du mensonge et tout est venu de Philippe de Villiers, Servir et Qu’est-ce qu’un chef ? du général Pierre de Villiers ou Le soir approche et déjà le jour baisse du cardinal Robert Sarah.
Son récit est vraiment de qualité. Il nous transporte littéralement au cœur de l’abbaye bénédictine de Fontgombault. Elle est présentée ainsi par l’auteur : « Le monastère compte une soixante de moines. Ils sont venus de Solesmes en mai 1948 pour relever la vie contemplative. Depuis, Fontgombault a fondé et restauré six autres monastères ».
Diat raconte, avec des mots justes et très souvent touchants, le quotidien des moines dans leurs différentes et nombreuses activités. Il confesse volontiers : « Souvent, j’ai contemplé, fasciné, le départ des moines lors d’un après-midi de promenade. Franchie la porte dérobée du verger, les religieux se perdent dans la campagne. Ils marchent vite, par petits groupes, d’un pas cadencé. Leurs habits noirs de laine fruste, les tuniques traditionnelles des fils de saint Benoît, forment des volumes étranges et impressionnants. Ils avancent, rient, se chamaillent gentiment. Les moines sont heureux ». L’auteur ajoute également : « Ces jours exceptionnels, ils se lancent dans de grandes conversations. Car le silence est habituellement une règle d’or ».
Diat nous révèle rapidement l’objectif de son livre formulé par deux importantes questions : « Comment comprendre ces hommes nimbés de mystère ? Les mots pourront-ils exprimer ce qui est d’abord une aventure intérieure ? » Les moines lui avaient alors répondu franchement : « Votre tâche ne sera pas aisée ». Cependant, l’auteur parvient à nous faire partager la vie des moines à travers des histoires enthousiasmantes et intimistes, bien que cet exercice se présente comme difficile. Pour celles et ceux ignorant tout des us et coutumes de la vie monacale, l’auteur rapporte ce qui suit : « Les sept offices du jour, et celui des matines, célébré la nuit, sont l’ossature d’un quotidien immuable. Il demeure jusqu’à la mort. La nuit, il faut se lever à quatre heures trente du matin. Matines, laudes, prime, tierce, sexte, none, vêpres et complies se répètent, de jour en jour, de saison en saison ».
A lire cette présentation, beaucoup considéreront que « cette vie peut sembler humainement impossible ». De fait, elle ne peut être comparée à un long fleuve tranquille : « Les embûches existent. Elles sont légion. Les moines de Fontgombault respirent pourtant la joie. La lumière de leur regard ne trompe pas. C’est un bonheur simple. Car les contemplatifs ne sont pas des demi-dieux. Ils sont des hommes qui décident d’orienter leurs jours vers Dieu ». L’auteur précise : « Leur programme est un voyage exaltant. Il ne se mesure pas ». Chaque personne doit avoir conscience qu’en « entrant dans un monastère, il faut abandonner les critères du monde. Le moine est un homme dépouillé, concentré sur les réalités d’en haut, détaché des affaires terrestres. Sa vie n’est plus la nôtre ».
Pour tenter de percer les fondamentaux de leur existence, il convient de se répéter sans cesse la devise de saint Benoît : Ora et labora, « Prie et travaille ». Diat explique à raison et avec conviction que « le vrai bonheur ne se marchande pas, dans le monde comme dans un monastère. Pas à pas, en remettant son ouvrage sur le métier, le moine cherche le bon, le bien, le juste. La règle de saint Benoît est une quête inlassable de l’équilibre. Equilibre du cœur, équilibre de l’intelligence, équilibre de l’âme. Pour ce faire, le moine fuit le méchant, l’impie, le jouisseur et l’avide. Rien de grandiose. Mais le combat est rude ».
Diat précise que « tous les travaux des moines sont enveloppés dans un grand tourbillon vers Dieu. Le père abbé donne une homélie, le frère s’occupe d’un bouquet de fleurs, le cellérier écrit un bilan comptable, le jardinier bine un rang de carottes ; ils ont tous une même importance. Chacun à sa place et à sa tâche, chacun à sa peine sous le regard du Très-Haut ». Ce récit passionnant nous invite à « pénétrer dans un monde intemporel, une cité interdite, une société idéale » qui nous permet de (re)découvrir le monastère dans ses différentes composantes : ferme, réfectoire, cellules, bibliothèque, hôtellerie, imprimerie, cloître, église, sacristie, chapitre…
Après avoir refermé cet ouvrage, les lecteurs qui ne connaissent pas encore Fontgombault désireront la découvrir sur place dans le Bas-Berry. Les autres, c’est-à-dire ceux ayant déjà pu s’y rendre en retraite, apprécieront du fond du cœur ce journal intime du monastère nous rappelant page après page, ligne après ligne, l’importance de Dieu, de la prière, du travail bien fait et surtout de l’humilité…
[ Signé : Franck Abed dans Billet de France ]
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"Fous de Dieu" à Fontgombault .
5/5 https://www.bvoltaire.fr/
.----. Puisque les trappistes sont, ces temps-ci, à la mode, on peut aussi parler des bénédictins… Il sont plus transgressifs que tous les punks à chien ou antifas à cheveux bleus, plus écolos que tout EELV réuni. Les mots de leur monde – effort, sacrifice, obéissance, fidélité, règle, prière, éternité, humilité – sont étrangers au nôtre. Leur choix semble dingue ou masochiste. « Bienheureux les fêlés, car ils laisseront passer la lumière »… aucune béatitude ne pourrait mieux leur convenir que celle-ci, qui n’est pas de Mathieu mais de Michel (Audiard). Ce sont les moines de Fontgombault, dont Nicolas Diat décrit la vie dans un livre intitulé Le Grand Bonheur.
On rentre dans ce livre comme on part faire une retraite. On tourne autour longtemps, un peu tenté, un peu rebuté, on est sûr de n’y trouver ni bluette, ni action trépidante… et, surtout, on a toujours une lecture plus pressée : combien d’essais en attente sur le chevet traitant de la crise sanitaire, des prochaines élections… sorti en octobre, il avait échoué en bas de la pile. Et puis la tour de Pise s’est effondrée, et la couverture, éclatante – des lettres jaunes sur une photo en noir et blanc, un moine paysan soignant ses bêtes qui pourrait aussi bien avoir été immortalisé hier qu’il y a 80 ans -,a rappelé à l’ordre : quand il faut y aller…
Quiconque a été une fois à Fontgombault salue le talent de Nicolas Diat : il y a du Cézanne, dans cet homme-là, il (dé)peint un tableau vivant, grouillant de silhouettes – alertes ou courbées, vaquant à leurs offices ou leurs travaux – et pourtant figées pour l’éternité : « Mais qui sont ces moines qui font descendre quelques gouttes du Ciel sur notre terre » ?
Nicolas Diat esquisse, par touches floues, le portrait de tel ou tel – l’anachorète, l’officier de marine, celui qui fut fiancé… – mais ne s’y attarde pas. Par pudeur, parce que l’autocentrisme n’est pas le genre de la maison ou parce que tenter de bricoler une typologie de ceux qui ont tout misé dans le pari de Pascal serait vain. Pour l’auteur, qui cite sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, « les âmes sont plus différentes que les visages » ; « chaque vocation est singulière ».
La première des obéissances est celle de ces hommes à la nature. Ou, plutôt, ils la domptent, mais en la respectant. À Fontgombault, les saisons sont reines : sous la plume de Nicolas Diat, la Fête-Dieu est ensoleillée et fleurie, le carême – et justement, il commence ces jours-ci… – terrible dans la Glaciale, comme est surnommée l’abbatiale. Il y fait si froid qu’on attend de retourner à l’extérieur comme on espère un radiateur : « Je vous laisse avec joie votre frigidaire roman », dixit, lapidaire, un religieux espagnol en partant. Le monastère est comme la misère. Moins pénible au soleil.
Mais cette acceptation est un luxe. Les moines ont peu de choses dans leur assiette, sur leur dos ou aux pieds, mais tout y est beau, bon, de qualité, durable, véritable… les légumes de la soupe comme le cuir des chaussures. Tout ce dont l’abondance de biens nous a privés.
Si ce confinement volontaire les tient à l’abri des bruits du monde, ils vivent à l’unisson des catholiques, portant la même croix. Nicolas Diat évoque la visite de Joseph Ratzinger, alors « seulement » cardinal. Il s’était ouvert du thème central de son livre L’Esprit de la liturgie – « le catholicisme a perdu la notion véritable du sacrifice » -, évoquant « le lien intrinsèque entre la crise de la foi, la crise de l’Église et la crise de la liturgie ». C’est cette brèche béante que Jean-Marie Guénois, du Figaro, a souligné au moment des manifs pour la messe… fustigé par certains clercs comme celui qui, dans une famille, révèle au grand jour les dissensions larvées.
La phrase d’accroche de ce texte n’était qu’une boutade. Ou pas. Il était d’usage, il y a quelques années, d’appeler les islamistes « fous de Dieu ». On sent, en refermant ce livre, que tant qu’il restera à Fontgombault ces autres fous de Dieu, les premiers, qu’ils soient de Trappes ou d’ailleurs, ne sauraient tout à fait avoir gagné.[ Gabrielle Cluzel ; Ecrivain, journaliste le 16 février 2021 ]