La communion des saints selon Bernanos
5/5 Les Prédestinés
« Le scandale de l'univers n'est pas la souffrance, c'est la liberté. Dieu a fait libre sa création, voilà le scandale des scandales, car tous les autres scandales procèdent de lui. La damnation ne serait-elle pas de se découvrir trop tard, beaucoup trop tard, après la mort, une âme absolument inutilisée, encore soigneusement pliée en quatre, et gâtée comme certaines soies précieuses, faute d'usage ? Quiconque se sert de son âme, si maladroitement qu'on le suppose, participe aussitôt à la Vie universelle, s'accorde à son rythme immense, entre de plain-pied, du même coup, dans cette communion des saints qui est celle de tous les hommes de bonne volonté auxquels fut promise la Paix, cette sainte Église invisible dont nous savons qu'elle compte des païens, des hérétiques, des schismatiques ou des incroyants, dont Dieu seul sait les noms.
[…] L'Église est une maison de famille, une maison paternelle, et il y a toujours du désordre dans ces maisons-là, les chaises ont parfois un pied de moins, les tables sont tachées d'encre, et les pots de confiture se vident tout seuls dans les armoires, je connais ça, j'ai l'expérience. La maison de Dieu est une maison d'hommes et non de surhommes. Les chrétiens ne sont pas des surhommes. Les saints pas davantage ou moins encore, puisqu'ils sont les plus humains des humains. Les saints ne sont pas sublimes, ils n'ont pas besoin du sublime, c'est le sublime qui aurait plutôt besoin d'eux. Les saints ne sont pas des héros, à la manière des héros de Plutarque. Un héros nous donne l'illusion de dépasser l'humanité, le saint ne la dépasse pas, il l'assume, il s'efforce de la réaliser le mieux possible… »
« La communion des saints… lequel d'entre nous est sûr de lui appartenir ? Et s'il a ce bonheur, quel rôle y joue-t-il ? Quels sont les riches et les pauvres de cette étonnante communauté ? Ceux qui donnent et ceux qui reçoivent ? Que de surprises ! […] Oh ! rien ne paraît mieux réglé, plus strictement ordonné, hiérarchisé, équilibré que la vie extérieure de l'Église. Mais sa vie intérieure déborde des prodiges de libertés, on voudrait presque dire extravagants, de l'Esprit - l'Esprit qui souffle où il veut. »
(Georges Bernanos, "Les Prédestinés", Paris, Seuil, 1983, p. 99) (Georges Bernanos, "Nos amis les saints")