Louis-Ferdinand Céline (1894-1961) est celui qui a imposé le pamphlet comme médium de masse privilégié de la fiction. Faut-il absolument s'en désoler ? Il a bousculé la syntaxe et la grammaire. Il a dynamité bien d'autres règles encore et voué aux gémonies à peu près tout le monde, renvoyant dos à dos le Dieu et le Bon Dieu. Il a transformé les bien-pensants en bien-suivants et la troupe des beaux-parlants en une cohorte de beaux-parleurs, interdisant toute descendance littéraire. Il a ajouté à la littérature quelque chose que le peuple a dans les tripes, le ton, et, dans le changement de ton, le changement de musique. En un mot, veillant à la santé de la langue française, lui inoculant la banalité de la vie ordinaire d'un guérisseur des faibles, il a ouvert une plaie sans immédiatement la cautériser.
Voyeur, spectateur nocturne des temps sombres, menteur en scène anobli par la croyance dans sa spontanéité révolutionnaire, Céline a constamment invoqué et brandi sa pyrotechnie du Verbe contre la république des Lettres et les limitations de la démocratie formelle. Jamais vraiment libéré de l'obsession décadentiste, humaniste déguenillé, échotier des miséreux, entre argot et blasphème, il incarne la figure de l'hygiéniste littéraire des années 30-40 du XXè siècle.
Insurpassable dans l'éloge-détestation de la vie humaine, le Maudit de Meudon offre, du fait de son statut exorbitant d'écrivain inclassable, un parapet d'où embrasser le paysage littéraire contemporain.
Romancier autoproclamé de la misère et de la banlieue, dénonciateur de la bêtise universelle et de la violence faite aux êtres et aux choses, l'Ermite se veut manifestes, ou presque.
Malgré ses trois pamphlets antisémites, l'étoile de Céline, figure inversée et crue du Juif errant, est progressivement remontée au firmament des lettres.
Philippe Pichon a trente-huit ans. Poète, essayiste et romancier, après Journal d'un flic (Flammarion, 2007) qui l'a révélé au grand public, Le Cas Céline est son huitième livre.